Chroniques

Le Vendredi fou en stéréo

Une journée qui a changé au fil des années?

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(La Presse canadienne)

En principe, c’est officiellement aujourd’hui, la fameuse journée des fabuleux rabais du Vendredi fou. Et tous ensemble, vous et moi, nous fûmes bombardés par des pubs télés et radio tandis que notre boîte de messagerie croule sous les tonnes de courriels nous annonçant les rabais du siècle depuis au moins les deux dernières semaines.

En fait, du siècle de cette année parce que l’an prochain, ce sera aussi les rabais du siècle. C’est bien fait pareil tout ça. Un siècle n’attend pas l’autre. Et pour nous aider à consommer avec intelligence et non pas dans la folie furieuse d’un geste spontané, le Vendredi fou est chaque jour entre le 15 novembre et le 10 décembre. Olivier Primeau dirait : «Vendredi fou, every day.»

Mais tout ceci m’a rappelé une anecdote personnelle. Une anecdote des temps anciens. C’était à l’époque où le Vendredi fou, c’était juste la journée du Vendredi fou. Point final. Tu n’y allais pas cette journée-là? Eh bien, tu manquais les rabais du siècle. Parce que oui, c’était déjà les rabais du siècle dans l’Ancien Monde. Les plus jeunes d’entre vous vont capoter leur vie ben raide parce que non seulement ça ne durait qu’un vendredi, mais en plus, il fallait se rendre au magasin. OUI! On devait prendre nos jambes et aller magasiner dans un centre d’achats. Ça et gravir le Kilimandjaro? Même dépassement de soi.

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Toujours est-il que ce septembre-là, j’avais un projet d’achat. À 18 ans, je pensais qu’il était plus que temps d’avoir ma propre chaîne stéréo. Pour ceux qui sont moins familiers avec les artéfacts, une chaîne stéréo servait à écouter de la musique. Les derniers modèles à la fine pointe de la technologie du futur étaient composés d’un amplificateur, on ajoutait par-dessus, un lecteur double cassette, ensuite on ajoutait un lecteur CD et on couronnait le tout d’une table tournante. Un petit gratte-ciel musical. Bien entendu, le tout était complété par deux caisses de sons très performantes et très pesantes. Je sais, tu n’en crois pas tes yeux et tu relis les dernières phrases pour être bien certain de comprendre toute l’ampleur du bonheur technologique de la fin des années 90.

J’avais trouvé le modèle que je voulais chez Aventure électronique, une grande chaîne de magasins plus spécialisés dans l’électronique que dans l’aventure. Mais peu importe. Le modèle que je voulais se détaillait à 979 $. C’était dispendieux. Mais, j’allais pouvoir doubler des cassettes. C’est-à-dire prendre une cassette d’un ami avec des chansons enregistrées à la radio le soir en faisait des devoirs et transférer le tout sur une cassette vierge. Écouter des CD, la nouvelle révolution en matière d’écoute de musique. Et grâce à ma table tournante souple, je n’avais plus besoin de coller un dix cennes sur mon bras d’aiguille pour empêcher mon disque vinyle de sauter. Tout ça valait le prix. Même beaucoup plus.

Je travaillais à temps partiel et je mettais une bonne partie de mon argent de côté pour mon projet. Comme le magasin était dans le même centre d’achats où je travaillais, je pouvais passer de temps en temps (c’est-à-dire aux trois jours) voir mon futur précieux. Disons que le vendeur me connaissait par mon prénom. D’ailleurs c’est lui, qui, un jour de novembre, m’annonça en grande pompe: «j’ai su qu’il y allait y avoir des ventes sur les chaînes stéréo le jour du Vendredi fou.»

Mon cœur a bondi dans ma poitrine au même rythme que Like a prayer de Madonna. Mais, il ne savait si celle que je convoitais allait avoir un rabais du siècle. J’implorais les anges-harpistes de jouer en ma faveur.

Le matin du vrai Vendredi fou vers 9 h 35. Un bon cinq minutes après l’ouverture du Aventure électronique, je me suis pointé devant ma future chaîne stéréo du futur et là, surprise, aucun rabais. Mon cœur pleurait. J’en voulais au patron. Monsieur «Aventure électronique». Je voulais qu’il brûle dans les flammes de l’enfer. Et c’est à ce moment-là que mon vendeur est arrivé derrière moi et a prononcé les mots magiques : je n’ai pas encore eu le temps de mettre la petite pancarte de rabais du siècle dessus, mais il y a 120 $ en moins. Je vous jure, j’ai entendu le chœur gospel de Like a prayer résonner dans mes tympans. La déesse des chaînes stéréo était de mon bord ce jour-là. Heureusement, la veille, j’étais passé faire un retrait à la caisse populaire et j’ai pu payer en argent comptant mon gratte-ciel musical.

C’est à partir de ce moment que ma mère et mes voisins se sont mis à faire des acouphènes. Ça vibrait dans ma chambre. Sur le gros bouton rond, qui réglait le son, mais mère avait mis du crayon-feutre noir sur le chiffre 5. Ça voulait dire que je ne pouvais pas monter le son plus haut.

En fait, 5 quand elle était à la maison et 8 le reste du temps… 

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