Chroniques

La puissance des mots

Il m’apparaît plus clair que mon rôle est de me consacrer plus que jamais à mon travail intellectuel.

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(Montage Noovo Info et banque d'images Envato)

Tout récemment, je prenais connaissance des menaces de mort qui pèsent sur Mark Bray, professeur à l’Université Rutgers aux États-Unis, spécialiste des mouvements de gauche et auteur chez Lux Éditeur.

 

Dans la foulée de l’assassinat de Charlie Kirk et de la signature d’un décret de Trump visant à désigner le « mouvement antifa » comme organisation terroriste, Bray a dû offrir ses cours en virtuel. Puis, lorsqu’il a reçu de nouvelles menaces de mort qui contenaient son adresse résidentielle, il s’est résigné à fuir le pays avec sa famille.

Ces menaces gravissimes sont le reflet d’une tendance plus large. Les États-Unis sont en train de basculer tranquillement vers le totalitarisme, un fascisme qui étend ses tentacules un peu partout sur la planète. Ces attaques constituent une atteinte coordonnée et organisée contre la liberté d’expression, la liberté académique et la liberté de penser. Peu importe où l’on se situe sur le spectre politique, il faut crier scandale face à ces pressions qui poussent nombre d’universitaires à la censure et à l’autocensure.

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Je conviens que les mouvements de gauche ne doivent pas demeurer à l’abri de toute critique. Notamment, nombre de progressistes ont été complètement avalés par des institutions de pouvoir. Par intérêt, appât du gain et confort personnel, plusieurs ont accepté d’être instrumentalisés et structurellement neutralisés, et ce, en toute connaissance de cause. Cela nous a fait perdre le sens du mot « contre-pouvoir » laissant le champ libre à la désinformation et à la haine.

Toutefois, mettre en équivalence les travers de la gauche face à l’extrême droite est plus que fallacieux. Il n’y a rien de totalitaire dans le fait d’avoir l’équité et la justice pour tous comme idéal. Malheureusement, nombre de commentateurs et de polémistes sont parvenus à faire nous croire que cette gauche est tout aussi dangereuse pour la vie que l’extrême droite.

Il n’est pas anodin que ces fachos s’en prennent aux universitaires, aux intellectuels et aux écrivains en premier lieu. Les espaces de réflexion et de pensée intellectuelle sont un puissant outil d’éveil des cœurs et des consciences. Produire du savoir, c’est ébranler les colonnes du temple. Écrire et parler pour élever le débat, c’est contrecarrer les plans de ceux qui veulent diviser pour mieux régner. C’est imposer son verbe, son vocabulaire pour le bien commun.  

Dans un tel contexte, il m’apparaît plus clair que mon rôle est de me consacrer plus que jamais à mon travail intellectuel. Le climat social et politique se dégrade de jour en jour, incluant au Québec, et nous approchons bientôt du point de non-retour. Lorsque la haine se déploie de façon aussi décomplexée, la remettre en cage devient une mission quasi impossible.

En tant qu’universitaire, prendre part au débat public et vulgariser des enjeux de société constitue un plaisir et une chance, mais aussi une responsabilité et un devoir. C’est donc pour cette raison que j’ai décidé une pause de mes chroniques pour Noovo Info et de la revue À Bâbord! pour me consacrer à mes projets d’écriture, dont plusieurs, risquent de vous surprendre. Ce travail de fond nécessite de s’isoler de toute forme d’agitation pendant un certain temps.

Je crois foncièrement au pouvoir révolutionnaire de la littérature. Les livres permettent des nuances qu’il est impossible de faire dans des chroniques de 700 mots ou dans des topos de quelques minutes à la radio ou à la télévision. La parution d’un livre permet d’imposer des sujets dans les médias qui n’auraient pas été abordés autrement. 

Je remercierai toujours les premières personnes qui ont cru que j’avais peut-être quelque chose à dire, et surtout qui ne m’ont jamais demandé de me dénaturer pour ce faire, ce qui absolument été rarissime dans mon parcours au Québec. Les plus grands leaders de ce monde ont la capacité de miser sur du potentiel et de braquer leur projecteur sur plus petits qu’eux, même si ça ne leur donne pas une visibilité immédiate lorsqu’ils le font. Je veux donc prendre le temps de souligner l’excellent travail de Mick Côté et Michel Dumais avec qui j’ai collaboré étroitement au cours des quatre dernières années, soit depuis le début de l’aventure de Noovo Info.

 

Enfin, je tiens à remercier mes lecteurs et lectrices de partout à travers la province, le pays et le monde qui m’écrivent.

Je ne disparais pas, loin de là. Je souhaite continuer mon engagement envers la société québécoise et le monde, mais différemment. Prendre un pas de recul pour revenir en force, là où l’on ne m’attendait pas, avec un impact plus profond, toujours dans l’intérêt du public.