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«Une guerre contre la science»: l’impact des choix de Trump sur l’avenir de la recherche

«On est dans un contexte où notre plus proche partenaire nie la valeur de la science», a dénoncé le président de l'Acfas.

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Porte d'entrée du pavillon A de l’École de technologie supérieure (ÉTS), à Montréal, le 6 mai 2025 Porte d'entrée du pavillon A de l’École de technologie supérieure (ÉTS), à Montréal, le 6 mai 2025 (Noovo Info )

La communauté scientifique francophone au pays s’inquiète de plus en plus face aux politiques du président américain Donald Trump. Cette inquiétude se fait notamment sentir au 92e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), portant sur le thème de La recherche au cœur des solutions technologiques et sociales et qui se tient du 5 au 9 mai à l’École de technologie supérieure (ÉTS), à Montréal.

L’administration de Donald Trump s’attaque depuis plusieurs semaines aux universités américaines et aux centres de recherches, en coupant les financements et des programmes (en environnement et santé entre autres). Or, ces décisions ont également un impact au Canada, notamment dans le secteur des sciences expérimentales. Toutefois, le président de l'Acfas, Martin Maltais, note également des répercussions au sein des équipes ayant des ententes ou projets avec les États-Unis.

«Je ne pensais pas le voir de mon vivant. […] Le vent anti-science aux États-Unis amène une série d’inquiétude sur nos relations avec les [Américains] et dans nos ententes aussi», a-t-il mentionné lors d'une entrevue avec Noovo Info.

«Tout le monde a été surpris, en se disant que c'est la force mondiale en science dans à peu près tous les secteurs- les États-Unis- qui se retire», a confié Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec. «Sans les Américains, on fait quoi? Car c'est un partenaire de premier choix depuis plusieurs années.»

M. Maltais déplore aussi l’absence de liberté académique aux États-Unis, en parlant notamment à titre d’exemple des licenciements de professeurs qui abordent ou qui font de la recherche sur des enjeux liés aux LGBTQ, aux femmes et à la diversité.

«On est dans un contexte où notre plus proche partenaire nie la valeur de la science et les résultats scientifiques», a-t-il alerté. «On est dans une dérive très inquiétante vers une autocratie ou une dictature.»

Noovo Info Martin Maltais au 92e Congrès de l'Acfas à Montréal, le 6 mai 2025. (Noovo Info)
«C’est très effrayant et il faut contrer cela. On est dans une guerre. C’est une guerre contre les intellectuels et contre la science. Il faut à tout prix la gagner rapidement.»
-Martin Maltais, professeur à l'Université du Québec à Rimouski et président de l'Acfas

Dans une lettre publiée en fin avril, des universitaires canadiens se disaient «profondément préoccupés par l'attaque sans précédent de l'administration Trump contre les universités américaines».

Face à cette pression gouvernementale, il faudra probablement s'attendre à l'arrivée de nombreux chercheurs francophiles ou francophones au pays, prévient toutefois M. Maltais. 

M. Quirion soutient qu’il est nécessaire d’agir et de saisir les occasions qui s’offrent au Québec et au Canada dans ce contexte. «Ça a été un peu long, car les gens avaient peur de parler aux États-Unis et ailleurs», a-t-il expliqué, ajoutant que les choses «commencent à s’organiser» en Europe et au Canada.

D'ailleurs, l'Université de Montréal et l’Université Laval ont mis en place des initiatives pour recruter des chercheurs américains et professeurs au Québec. Cela est rendu possible grâce aux fonds provenant de leurs fondations. «Ce n'est pas des subventions de recherche ni de frais de fonctionnement», a précisé M. Quirion en entrevue avec Noovo Info. «Ça vient de la philanthropie.»

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M. Quirion, qui est aussi président du réseau international en recherche scientifique (INGSA), a également fait deux propositions au gouvernement du Québec, soit de ramener des jeunes Québécois ainsi que de ramener des Canadiens et d'autres nationalités plus «seniors» qui ne peuvent plus travailler dans leurs domaines respectifs aux États-Unis.

«On parle aussi beaucoup avec le fédéral», a-t-il dit, précisant que cela permettrait de «diversifier» les partenariats et collaborations scientifiques.

Selon lui, il y a une «bonne opportunité» pour le Canada de prendre une position claire, surtout avec l'approche du G7. 

De plus, le président de l'Acfas affirme aussi avoir des discussions en cours avec une association américaine. Malgré le contexte actuel, «ça peut être une fenêtre pour jouer un rôle parmi d’autres acteurs scientifiques qui jouent un rôle pour soutenir et entretenir des relations», a-t-il ajouté. Notons que l'Acfas a déjà six antennes régionales à travers le Canada, et prévoit d'en ouvrir d'autres au nord du pays.

L’importance du français

Pour le président de l’Acfas, les décisions prises par l'administration Trump forcent les établissements d’enseignement supérieur et les gouvernements à se poser les bonnes questions et à repenser à de nouvelles stratégies «de défense».

Avec l’élection de Mark Carney au fédéral, la communauté scientifique francophone s'attend à un virage économique axé sur la défense. Ce qui pourrait avoir des répercussions dans les universités, notamment en termes de production scientifique, indique M. Maltais.

En effet, les libéraux ont promis de consacrer plus de 18 milliards $ à la défense nationale, afin que le Canada soit en mesure de «dépasser son objectif de l'OTAN d'ici 2030».Ces dépenses comprennent l'achat de nouveaux sous-marins et de brise-glaces supplémentaires pour la Marine royale canadienne, ainsi que l'acquisition d'«avions de détection et de contrôle aériens de fabrication canadienne».

«Ça ne prend pas beaucoup de temps à détruire quelque chose, mais ça va prendre du temps à rebâtir.»
-Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec et président de l'INGSA

Le Congrès de l’Acfas a d’autant plus son importance cette année. «C’est une opportunité de faire mieux comprendre au reste du Canada l’importance de la place du français au pays et de la science en français», a mentionné son président, en rappelant que la science contribue à forger l’identité québécoise et en fait pleinement partie. 

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«Le gouvernement [fédéral] doit mettre en place une série de mesures pour faciliter la vie scientifique en français», a-t-il Martin Maltais, en ajoutant qu’il reste à voir comment les organismes fédéraux se repositionneront.»

Selon les experts, les gouvernements et institutions ont un rôle à jouer, mais la population doit aussi faire sa part.

«C’est une affaire collective», a-t-il M. Maltais, soulignant qu’il faut encourager notamment les jeunes à se diriger vers une carrière scientifique ou dans le domaine de la recherche. «Il faut convenir d’un ordre de marche tout le monde ensemble. Ça va être difficile, mais il faut le faire vite.»

«Il faut essayer de travailler avec les gouvernements et les différents partis, mais aussi la société civile pour leur expliquer qu'il faut faire attention [...] et l'importance de la recherche fondamentale», a ajouté M. Quirion en entrevue. «Il faut continuer d'investir en science.»

Avec des informations de La Presse canadienne et de The Associated Press