Les valises sont dans le coffre de l’auto. Le courriel d’absence est programmé. À la maison, le frigo est vidé, les plantes arrosées. Et pourtant, aussitôt arrivé au chalet, à l’hôtel ou à la plage, vous vérifiez vos courriels professionnels… Dites-vous ceci : vous n’êtes pas seuls.
Selon un sondage de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, deux travailleurs sur cinq restent en contact avec leur milieu de travail pendant leurs vacances. Et ce chiffre date de 2015: en dix ans, les choses ne se sont pas améliorées — au contraire.
On vit dans une ère d’hyperconnectivité intense dans laquelle on multiplie les canaux de communication. Ce n’est pas que le courriel qui prend toute la place, à toute heure du jour et du soir, ce sont les plateformes collaboratives (comme Teams), les messages sur Messenger, LinkedIn, les textos et j’en passe.
Comme si le nec plus ultra, le summum de la réussite, c’est d’être joignable en tout temps et surtout, de répondre rapidement. C’est la preuve qu’on est performant, productif et par conséquent, qu’on a de la valeur.
J’exagère ? Non.
Cette tendance au workaholism (ou dépendance au travail) toucherait 15 % de la population active, selon une récente étude de l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal. Les conséquences de trop s’investir au travail sont sérieuses : fatigue, épuisement, dépression.
Le blurring
Le cerveau a besoin de se reposer. Ce n’est pas compliqué à comprendre — et pourtant… Et pourtant, en connaissez-vous beaucoup, vous, des gens qui gèrent avec modération, lucidité et clairvoyance leurs écrans?
La dépendance est telle que de plus en plus, on brouille la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle. Ce phénomène a d’ailleurs un nom: le blurring. Depuis la pandémie, il est omniprésent.
Travailler tôt le matin ou tard le soir, répondre à des messages en vacances ou à un souper, prendre un appel en voiture ou à l’épicerie, le travail est devenu une activité en continu, sans point de départ ni ligne d’arrivée.
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Santé mentale
Mais être disponible constamment a un prix : il joue sur la santé mentale à coup de stress, de liste de choses à faire interminable, de sentiment d’être submergé et jamais à la hauteur, de perte de concentration, de motivation… et de grande fatigue.
Pas étonnant qu’on se sente envahi : on n’a jamais autant travaillé que depuis la pandémie. Une étude du Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval démontre que la semaine de travail moyenne s’est allongée de 3,3 heures.
Oubliez la fameuse société des loisirs qu’on nous promettait ! Le projet est mort et enterré avec le télétravail et la confusion entre vie personnelle et vie professionnelle.
Et en vacances ? Les vacances ne changent pas grand-chose à l’ADN du travailleur acharné, emprisonné dans une culture d’hyperperformance : décrocher demande une farouche volonté et une discipline olympique.
Des solutions
Alors quelles sont les solutions?
Elles sont probablement multifactorielles — comme les racines du problème le sont aussi.
Je m’explique mal pourquoi certains gestionnaires valorisent encore les longues heures de travail, les envois de courriels en dehors des heures régulières (à moins d’avoir une politique indiquant que ces envois n’ont pas à être pris en considération avant l’heure convenue), les nombreuses réunions à des heures pas possibles et les sacrifices personnels — même en vacances.
Est-ce acceptable ? Combien de temps encore allons-nous faire tourner la roue de la productivité — et au nom de quoi ?
Parler de ses besoins et de ses attentes, en équipe, entre employés, collègues, gestionnaires est un bon point de départ. Le réflexe de performance ne va pas disparaître tout seul !
Dérive
Et puis, on va se le dire, un rapport toxique au travail empêche non seulement de profiter de vacances (bien méritées), mais de profiter de la vie, point. Combien de moments en famille bâclés ou carrément manqués ?
Si on définit les vacances comme la capacité à se détacher du boulot alors pour bien des travailleurs, c’est raté. Il est difficile, voire impossible, de mettre son cerveau à pause, de se détendre, de se divertir et de remettre le compteur à zéro si on reste le nez collé à son téléphone, à prendre frénétiquement ses courriels.
Tant et aussi longtemps que collectivement, on ne revoit pas les règles du jeu, ce sera difficile de sortir de cette dérive.
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