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Dictature, mode d’emploi

Malgré le refus de la mairesse de Washington D.C., la garde nationale a été envoyée dans la capitale américaine.

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Donald Trump (Montage Noovo Info et image tirée de The Associated Press)

Malgré le refus de la mairesse de Washington D.C., la garde nationale a été envoyée dans la capitale américaine et s’y trouve maintenant bien installée, merci à Donald. Plus de deux mille militaires (de réserve) fringants et bien armés, visant à «nettoyer» — selon les termes du président — la capitale de sa criminalité, soit l’immigration «illégale» et l’itinérance.

Le grand ménage, quoi.  

On refait essentiellement le coup de Los Angeles de juin dernier, là où 4000 soldats furent dépêchés en soutien aux macaques du ICE. On se souviendra, ici encore, de la fin de non-recevoir du gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, jugeant la manœuvre autant inutile qu’inconstitutionnelle. Il s’agissait d’ailleurs, depuis 1965, du premier déploiement de la sorte contre la volonté du gouverneur, le plus haut dirigeant d’un État. Dans cette même foulée, et histoire d’en rajouter une couche, Trump ira jusqu’à menacer Monsieur le Gouverneur… d’arrestation pure et simple.

Jouissant manifestement de ces démonstrations autocratiques, le Donald, refusant comme dab de s’arrêter en (si mauvais) chemin, vient d’annoncer ses prochaines cibles : Chicago, Baltimore, New York et potentiellement Oakland. Leur point en commun ? Des villes dirigées par des démocrates, idem pour leur État respectif. Beau hasard.  

Selon le gouverneur de l’Illinois: «Après des tests-cobayes à Los Angeles et Washington D.C., Trump flirte maintenant ouvertement avec l’idée d’accaparer le pouvoir sur d’autres États et villes. Son objectif est d’inciter à la crainte à même nos communautés, et déstabiliser nos efforts en matière de sécurité publique — tout ceci afin de créer une justification à davantage d’abus de pouvoir.»

Difficile d’être en désaccord, surtout quand on connaît le Donald et ses velléités fascisantes, impossibles à ignorer depuis janvier dernier.

Cela dit, au-delà des desseins visés, qu’en est-il de la constitutionnalité des mesures de déploiement appliquées?

Selon le Dixième amendement de la Constitution américaine, adopté en 1791 :

The powers not delegated to the United States by the Constitution, nor prohibited by it to the States, are reserved to the States respectively, or to the people.

Cela dit simplement, les pouvoirs n’étant pas directement dévolus à Washington seront réservés, et conséquemment exercés, par chacun des 50 États américains [1].

En bref, si la Constitution reste silencieuse sur une compétence donnée, celle-ci tombe nécessairement sous la coupole des États, et non de l’État central. Il sera ainsi interdit, on l’a compris, au président de bulldozer les juridictions des États ou de leurs municipalités respectives.

En avril dernier, un juge de district de la Californie a d’ailleurs condamné l’administration trumpiste d’avoir « violé le Dixième amendement en imposant des conditions coercitives aux autorités locales afin de les forcer à appliquer les lois et pratiques fédérales en matière d’immigration ».

Le principe est repris peu après par un autre juge du même district, cette fois quant aux événements de Los Angeles. Alors que l’envoi de la garde nationale se justifie aux yeux de Donald par « une forme de rébellion à l’encontre du gouvernement des États-Unis », le juge Breyer réplique: «est-ce une rébellion du simple fait que le président l’affirme ?»

Dans les dents.

Il poursuit en concluant que le déploiement est de nature illégale, excédant la juridiction de Washington et violant, dès lors, le Dixième amendement. Le contrôle de la Garde nationale doit donc, immédiatement, être « remis dans les mains du gouverneur de la Californie ».

Dans les dents, bis. Ceci est d’ailleurs conforme aux avis des experts américains en matière constitutionnelle, des avis pratiquement unanimes.

Sauf que la victoire, jolie, sera de (très) courte durée.

Dans le temps de le dire, Washington porte la décision de Breyer en appel, soit devant deux juges (sur trois) nommés par Donald.

Résultat? Celui que vous imaginez: invoquant une disposition obscure d’une loi adoptée par le Congrès afférente aux forces armées, laquelle délègue au président l’autorité constitutionnelle de «d’amener les militaires à empêcher les insurrections et les invasions», et donc de se substituer au pouvoir des États en place.

Et comment savoir si une telle insurrection ou invasion est en cours?

Rien de plus simple: on demande au président ce qu’il en pense, celui-ci étant «le seul et exclusif juge à savoir si une rébellion est en cours».

Voilà comment se posent, dans le confort et brouillard de la complicité judiciaire, les socles d’un État fascisant.

Merci, magistrats-amis.

[1] On remarquera aussi au passage la notion «ou par le peuple», ce qui, dans les faits, ne veut essentiellement rien dire.

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