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Ce que dit Frankenstein des hommes

Cette fable en dit davantage sur les hommes qu’on ne veut bien l’admettre.

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(Montage Noovo Info et Netflix)

Le nouveau Frankenstein de Guillermo Del Toro produit par Netflix raconte l’histoire du Dr Frankenstein, déterminé à renverser la mort et prendre la place de Dieu, mais aussi celle des femmes, en donnant la vie à une créature fabriquée avec des bouts d’humain.

Le seul ennui, c’est que le créateur néglige de prendre soin et d’aimer la créature qu’il met au monde. Il ne prend même pas la peine de le prénommer avant de l’enchaîner dans une cave comme un animal blessé.

Cette nouvelle adaptation de Frankenstein est la métaphore parfaite d’un homme qui veut faire un enfant, mais qui omet de le couver. Frankenstein est un nouveau-né pris dans un corps de monstre et qui n’a pas la chance d’apprendre à vivre, devant un père-créateur se mettant en colère qui déverse sur lui sa colère parce qu’il n’est pas déjà doté d’intelligence. Un père frustré d’entendre répéter son nom en boucle «Victor!»  mais jamais attendri.

Horrifié devant sa propre création, Dr Frankenstein admet n’avoir «jamais songé à ce qui viendrait après la création».

Le scientifique a pensé toute sa vie à fabriquer un homme, mais jamais ne s’est demandé ce qu’il adviendrait après. Quand son frère lui demande si, dans toutes ses recherches, il n’a pensé à quelle partie du corps pouvait détenir l’âme, l’inventeur répond que non, jamais. À ni un ni l’autre, il ne semble venir à l’esprit que l’âme et l’humanité s’acquièrent par ceux qui l’entourent et une fois la vie donnée.

Frankenstein est une fable sur l’envie des hommes de créer la vie à notre place, mais incapable de concevoir que le don des femmes dépasse outrageusement la fonction biologique.

Le docteur Frankenstein a voulu devenir Dieu, mais il a oublié de remplacer la femme. Seule sa belle-sœur Elizabeth démontre de la bonté à la bête et la regarde comme un être vivant. Si elle l’avait élevé, si elle avait pu lui donner un prénom et un lit, le monstre ne serait jamais devenu un monstre.

Enfant, Frankenstein se fait lacérer le visage par son père pour avoir mal répondu à une question durant une séance d’études. Plus tard, il devient lui-même ce père hargneux et malveillant qui punit son «fils» parce qu’il ne sait pas parler dès la naissance.

Le seul monstre de cet œuvre, c’est le scientifique. Plutôt que de s’amender et devenir le père de l’être qu’il a façonné de ses mains, il déclare forfait et l’abandonne dans une maison en feu.  

Ironiquement, Guillermo Del Toro ne semble lui-même pas tenir en estime la femme qui a accouché de son personnage. Mary Shelley a écrit Frankenstein à seulement 18 ans. Pourtant, l’œuvre de Del Toro se termine sur les mots de Lord Byron, un poète ami de Mary Shelley. Dans la couverture médiatique de Frankenstein, c’est lui, Del Toro, le génie derrière le monstre, jamais Shelley.

Vous pouvez être sûr d’une chose, si un garçon de 18 ans avait accouché de Frankenstein, si un homme était l’auteur de ce chef d’œuvre, vous sauriez tout de lui. Mais cette fable en dit davantage sur les hommes qu’on ne veut bien l’admettre. On envie aux femmes le don de créer la vie, même si ce n’est que d’une créature de fiction.

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