Alors que les yeux du monde sont rivés sur Gaza ou l’Ukraine, l’une des pires crises humanitaires du monde fait rage… dans l’indifférence quasi-totale. Pourquoi la guerre au Soudan est-elle si peu médiatisée?
Dans la série Monde sous tension, la journaliste Sabrina Rivet vulgarise des conflits internationaux complexes qui restent trop souvent dans l'angle mort des médias occidentaux, du Soudan au Costa Rica, en passant par le Yémen.
Le Soudan est un pays d’Afrique du Nord, bordé entre autres par l’Égypte, la Libye, le Tchad et la mer Rouge. Plus de 51 millions de personnes y habitent et sa capitale est Khartoum. C’est l’un des pays les plus pauvres dans le monde. Il a été marqué par une série de conflits internes et de guerres civiles depuis son indépendance en 1956.
De manière générale, les conflits opposaient le pouvoir central, qui est basé au Nord, majoritairement arabe et musulman, à des groupes plus marginalisés du Sud ainsi que de l'Ouest, souvent de culture africaine et chrétienne.
Première guerre civile soudanaise (1955–1972)
La première guerre civile soudanaise éclate alors que le pays vient à peine de naître. Elle durera environ 16 ans.
Elle a débuté par une rébellion qui a éclaté dans le sud pour dénoncer la domination du nord. Une lutte armée s'engage entre le Nord musulman et le Sud où une minorité, essentiellement noire, réclame son autonomie.
Selon des estimations, environ 500 000 personnes auraient perdu la vie dans ce conflit.
La guerre s’achève avec l’Accord d’Addis-Abeba, qui va mener à la création de la région autonome du Sud-Soudan.
Deuxième guerre civile soudanaise (1983–2005)
En 1983, la vie des Soudanais est à nouveau chamboulée quand le président Gaafar al-Nimeiry impose la charia islamique à l’ensemble du pays.
Le Sud dirigé par l’Armée populaire de libération du Soudan, se révolte de nouveau.
Cette guerre est l’une des plus meurtrières du XXe siècle. On parle d’environ 2 millions de morts, en plus d’entraîner des famines et des millions de gens déplacés.
C’est finalement en 2005, qu’un Accord de paix global est signé. Il ouvre la voie à l’indépendance du Soudan du Sud en 2011.
Guerre du Darfour (2003–2020)
Mais une autre région du Soudan vivra bientôt ses propres turbulences: le Darfour, une région de l'ouest du Soudan habitée par 7 millions de personnes. Seulement un tiers des filles et moins de la moitié des garçons vont à l'école primaire dans cette portion du pays.
En 2003, des groupes rebelles se sont soulevés contre le gouvernement central.
Les tribus arabes, dans lesquelles on retrouve les janjawids (les miliciens du Darfour), et les tribus «noires-africaines» non-arabophones s’affrontent.
Conséquence: environ 300 000 morts et des millions de déplacés.
La Cour pénale internationale a d’ailleurs lancé un mandat d’arrêt contre le président Omar el-Béchir pour crimes contre l’humanité après cette guerre.
Finalement, le 3 octobre 2020, un accord de paix est signé entre neuf groupes rebelles soudanais.
Mais ça n’a pas marqué la fin des violences…
La guerre actuelle au Soudan
En avril 2023, une autre guerre civile éclate au Soudan.
Les deux clans qui s’affrontent sont maintenant l'armée soudanaise (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR).
Ce conflit a conduit à une crise humanitaire majeure.
Le pays s’enfonce depuis dans une spirale de violences, de déplacements et de pénuries que l’ONU qualifie désormais officiellement de «pire crise humanitaire au monde».
Près de 13 millions de personnes ont été déplacées de force depuis le début du conflit, dont 5 millions d’enfants. Quelque 17 millions d’enfants ne vont plus à l’école en raison de la guerre.
Les maladies, comme le choléra et le paludisme, se propagent. Dix régions du Soudan vivent une famine.
Plus de 30 millions de personnes, soit près des deux tiers de la population du pays, ont un besoin urgent d'aide humanitaire.
Une crise passée sous silence
Mais malgré l'horreur qui persiste, le confilt au Soudan demeure moins médiatisé que d'autres guerres. Pourquoi?
D'abord, c'est un conflit complexe, qui implique de nombreux acteurs et dont les racines prédatent la déclaration d'indépendance de 1956.
Puis, l'ampleur de la guerre civile au Soudan a rendu l'accès très difficile pour les journalistes et les ONG. Il n'est donc pas simple d'avoir accès à de l'information vérifiable sur ce qui se passe dans la région.
Mais au-delà de tout ça, la grande différence par rapport à d'autres conflits médiatisés, c'est que la guerre au Soudan ne présente pas d'enjeu stratégique pour les grandes puissances mondiales. La région ne présente aucun intérêt direct pour les États-Unis, la Russie ou la Chine.
L'Afrique subsaharienne est une région historiquement sous-representée dans les médias occidentaux, sauf en cas d’événements spectaculaires ou de catastrophes naturelles. Sans implication de ces grandes puissances, les médias traditionnels ont moins tendance à se tourner vers la région.
Et que fait le Canada?
Le Canada fournit de l’aide humanitaire pour répondre aux besoins vitaux des populations touchées par la crise
En 2024 et en 2025, le gouvernement canadien a annoncé un financement de plus de 17,5 millions de dollars pour la paix et la sécurité pour protéger la population du Soudan.
En mars, le Canada a imposé des sanctions contre des personnes et des entités associées aux Forces armées soudanaises (FAS) et aux Forces de soutien rapide (FSR) liées aux violences contre la population civile au Soudan.
En date du 27 avril 2025 , près de 10 000 Soudanais ont été autorisés à s'établir au Canada de façon permanente et un peu moins de 4 500 de façon temporaire.
La Croix-Rouge canadienne aide également sur le terrain les Soudanais.
Ces derniers mois, la couverture médiatique de la guerre au Soudan s'est légèrement amplifiée., comme en témoigne une augmentation récente des recherches Google portant sur le pays.
Elle pourrait s'expliquer notamment par des campagnes menées sur les réseaux sociaux pour garder le conflit dans l'oeil du public. Face à la couverture importante de la guerre à Gaza, des internautes ont souvent appelé la population à ne pas oublier des conflits comme celui qui fait rage au Soudan, mais également au Yémen et en République démocratique du Congo, par exemple.
