Au Yémen, la guerre ne date pas d’hier. Elle s’enracine dans l’histoire, dans la religion et dans des choix politiques explosifs. Pourquoi cette vieille mésentente entre sunnites et chiites a-t-elle plongé le Yémen dans une guerre civile?
Dans la série Monde sous tension, la journaliste Sabrina Rivet vulgarise des conflits internationaux complexes qui restent trop souvent dans l'angle mort des médias occidentaux, du Soudan au Costa Rica, en passant par le Yémen.
Pour comprendre, il faut remonter à l’an 632. Le prophète Mahomet vient de mourir, et une grande question secoue le monde musulman: qui doit lui succéder ?
Pour certains – les futurs sunnites –, le chef doit être choisi par la communauté.
Pour d’autres – les futurs chiites –, le chef doit venir de la famille de Mahomet; un héritier du sang, son cousin, son gendre... Mais le Prophète avait perdu son fils unique et il n’avait que des filles.
Un islam divisé
Ce simple désaccord va diviser l’islam en deux branches…
Les sunnites sont largement majoritaires dans le monde musulman, environ neuf sur dix.
Les chiites sont moins nombreux, mais très influents, notamment en Iran, en Irak et au nord du Yémen.
Au fil des siècles, la divergence s’est accentuée dans la théologie, dans les pratiques, dans l’histoire et surtout dans la politique.
Le Yémen devient un pays où tout le monde est musulman, mais pas dans le même camp.
Au nord, dans les montagnes, vivent les Zaydites, d’appartenance chiite. Ils représentent un tiers de la population du Yémen. C’est dans cette région que naissent les Houthis, qui forment aujourd’hui la rébellion Houthis. Des combattants organisés, farouches, bien enracinés.
Et au sud, on trouve surtout des sunnites.
Deux visions de l’islam… qui ont longtemps cohabité tant bien que mal.
Petit rappel historique
Jusqu’en 1990, il y avait deux Yémens: un nord conservateur et un sud socialiste.
On les a réunis, mais les tensions, elles, n’ont jamais disparu.
Le présent conflit a commencé dans la région de Saada dans le Nord en 2004.
En 2011, le printemps arabe arrive au Yémen, apportant avec lui d’importantes manifestations.
Le peuple se soulève contre le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis plus de 30 ans.
Il va finalement démissionner. Mais au lieu de la paix… son départ crée un vide que plusieurs souhaitent combler.
Les Houthis, des rebelles chiites, s’emparent de la capitale, Sanaa, en 2014. Ça marque le début d’une escalade du conflit et de la guerre civile.
Un an plus tard, le conflit s'est internationalisé.
Guerre par proxy
L’Arabie saoudite et une coalition de pays arabes entrent en guerre contre eux par crainte que les Houthis ne prennent le contrôle total du pays.
De l’autre côté, l’Iran soutient discrètement les Houthis.
Et le Yémen devient un terrain de jeu meurtrier entre grandes puissances.
Le Yémen est ainsi confronté à une guerre civile qui oppose depuis 2014 les rebelles chiites Houthis au gouvernement
Une décennie de douleur
Plus de 10 ans après le début de la guerre, le pays est dans une crise sans précédent.
La décennie de conflit a fait plus de 19 000 morts et déplacé près de cinq millions de personnes.
Près de la moitié de la population, soit environ 17 millions de personnes, souffre d’une faim aiguë selon l’ONU.
Plus de 1,5 million de personnes sont en situation d’urgence.
Moins de 50% des établissements de santé fonctionnent.
Près des trois quarts de la population n’ont pas accès à l'eau potable.
Quelque 75% de la population, 22 millions de personnes, ont besoin d'une forme d'assistance humanitaire et de protection.
Le rôle du Canada
Le rôle du Canada dans le conflit au Yémen a souvent été critiqué…
Le Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen qui a étudié pendant de nombreuses années le conflit pour le compte des Nations unies a déjà dit que le Canada était l’un des pays qui contribuaient à alimenter la guerre au Yémen.
Mais pourquoi? Ça a beaucoup à voir avec la relation du Canada avec l’Arabie saoudite, un des acteurs les plus influents de la guerre au Yémen.
En 2014, le Canada signe un contrat de 14 milliards de dollars pour vendre des véhicules blindés à l’Arabie Saoudite, sous le gouvernement de Stephen Harper. Ça créait par le fait même de nombreux emplois à London en Ontario.
Mais deux ans plus tard, un rapport de l’ONU dénonce des crimes de guerre commis par la coalition saoudienne au Yémen.
Rapidement, des inquiétudes émergent: et si les blindés canadiens étaient utilisés dans ce conflit?
En 2016, le ministre des Affaires étrangères de l’époque nie toute implication. Alors premier ministre, Justin Trudeau maintient quant à lui qu’il est important de respecter le contrat signé sous l’ancien gouvernement.
Deux ans plus tard, devant la grogne toujours palpable de nombreux élus et organismes, le gouvernement Trudeau suspend temporairement les permis d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite.
Le commerce reprendra toutefois en 2020. Quelques mois plus tard, les ONG Project Ploughshares et Amnistie internationale confirment que des blindés canadiens sont bel et bien utilisés au Yémen.
Le gouvernement canadien, lui, dit ne pas avoir encore de preuve tangible.
Une guerre payante?
Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite reste le plus gros client en armement du Canada en excluant les États-Unis.
Le Canada a exporté pour 904, 6 millions de dollars de matériel militaire au royaume saoudien, soit 42 % du total des exportations l’an dernier.
Des organisations militent depuis plusieurs années contre la vente d’armes à l’Arabie saoudite, dont Amnistie internationale.
L’organisme a fait la demande au gouvernement canadien de cesser la vente d’armes vers l’Arabie saoudite dans son rapport Apercu des droits humains au Canada en 2021, 2022, 2023 et 2024.
