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Des enfants privés d'école à répétition: «c'est dramatique»

«Mon fils, quand il a été retiré de l’école et que je lui ai fait l’annonce, les deux bras lui sont tombés.»

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Des enfants privés d'école à répétition Des enfants privés d'école à répétition

Les services offerts pour les enfants avec un trouble d’adaptation ou d’apprentissage sont rarement suffisants et les élèves aux besoins particuliers se retrouvent souvent sortis des classes.

C’est le cas des deux enfants de Julie Rioux qui sont tous les deux diagnostiqués avec un trouble du spectre de l’autisme. Ils ont été placés dans des classes régulières de l’école des Berges, à Québec, et ont été déscolarisés pendant plusieurs jours.

Le parcours scolaire de la jeune fille de Mme Rioux a commencé à se détériorer en troisième année du primaire, explique la mère. La fillette a alors testé une médication pour l’aider à traiter son anxiété, mais ça n’aurait qu’empiré les choses. La jeune a ensuite été déscolarisée.

En avril dernier, la petite, qui avait alors 8 ans, s’est enfermée dans les toilettes de l’école. Les policiers ont été appelés en renfort pour «un état mental perturbé» et l’ont fait sortir en lui présentant un «toutou», tel que mentionné dans le rapport d’événement.

«On m’a dit qu’elle allait prendre un temps d’arrêt, qu’elle allait revenir avec un plan d’intervention personnalisé. La pause qui devait durer deux semaines s’est en réalité étiré sur presque deux mois», explique Julie Rioux.

L’histoire s’est répétée avec son fils, qui depuis la rentrée scolaire cumule les suspensions. L’enfant de 7 ans a été retiré de l’école pendant une semaine en octobre dernier après un événement que la direction a qualifié «d’épisode de désorganisation importante».

«Mon fils, quand il a été retiré de l’école et que je lui ai fait l’annonce, les deux bras lui sont tombés. Il n’a rien fait de sa journée. Il m’a dit: "Maman, je n’ai plus envie de vivre"», raconte la mère, visiblement déboussolée.

«À quoi bon vivre, mes amis sont à l’école et moi je n’ai pas le droit», lui aurait-il dit.

 

Il a lui aussi dû être en retour progressif, donc sans avoir accès à tous les services.

«Il a ses périodes d’enseignement. Il n’a pas droit d’aller au service de garde pour les deux prochaines semaines. Après ça, ce sera des réintégrations de 15 minutes», explique la mère.

«Un lien brisé avec l’école»

Les experts sont unanimes: exclure les enfants à répétition et les priver d’autres services n’a rien de bénéfique.

Pour le Dr Égide Royer, psychologue et spécialiste de la réussite scolaire, il s’agit carrément d’une «conséquence punitive».

«Suspendre, exclure d’un service éducatif ne contribue pas au développement et à l’apprentissage d’un enfant», dit-il.

Laurence Simard-Gagnon, membre du Comité pour le droit à la scolarisation et professeure et chercheuse à l'UQAR, est du même avis et estime que ce genre d’actions comportent de graves conséquences pour les enfants.

«C’est source de désorganisation très importante chez les élèves, chez les familles. Ça va mener à des difficultés encore plus grandes de réintégration. Il y a un lien avec l’école qui a été brisé», explique la chercheuse, dont les travaux s’intéressent particulièrement aux bris de service en éducation et à leurs impacts.

Notons qu’en 2018, à la suite de nombreuses plaintes concernant les bris de scolarisation, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse a mené une étude systémique et émis 22 recommandations.

Pour le principal chercheur de cette étude, Daniel Ducharme, les évaluations individualisées qui sont prescrites par la loi sont trop souvent guidées par des préjugés sur la capacité de réussir.

«Ce qu’on voit souvent, ce sont des plans d’intervention où on fait un copier-coller et ça entraîne dans bien des cas des épisodes où les jeunes qui sont en classe se désorganisent», explique-t-il.

Malgré les 22 recommandations soumises dans l’étude, force est de constater que sept ans plus tard, et après quatre ministres de l’Éducation, les choses n’ont pas beaucoup changé.

La Commission note qu’au cours des deux dernières années 73% des plaintes qu’elle reçoit en lien avec le système d’éducation touchent des bris de scolarisation.

Pour Francis Côté, président de la Fédération québécoise des Directions d'établissement d'enseignement, ces données démontrent que le système n’est «pas capable de s’adapter aux grands besoins des élèves».

«Ça, c’est dramatique, très dramatique», dit-il.

La nouvelle ministre de l’Éducation, Sonia Lebel, a refusé notre demande d’entrevue. Par courriel, son cabinet indique que le réseau a été grandement renforcé avec notamment plus de professionnels, plus de personnel de soutien, et qu’en 2023-24, c’est 3,7 milliards de dollars qui ont été investis pour soutenir les élèves à besoins particuliers.

Le yoyo budgétaire en éducation n’a pas été sans impact

Les ajustements budgétaires en éducation, avec des annonces de coupes notamment aux servies destinés aux besoins particuliers suivis par des ajouts de fonds, n’ont pas été sans impacts dans les centres de services scolaires de la province.

Selon M. Côté, malgré la réinjection de fonds du gouvernement Legault, l’effet des coupes a été «direct».

«À la fin octobre, on est déjà en mode pompier pour essayer de rétablir certaines situations», dit-il.

Julie Rioux, de son côté, vit concrètement les impacts des compressions budgétaires.

«Ça m’empêche d’occuper un emploi à temps plein», dit-elle.

Le Centre de services scolaire de la Capitale, dont fait partie l’école des Berges, n’a pas fait suite à notre demande d’entrevue. La directrice de l’école a cependant envoyé un message à la mère des enfants après sa rencontre avec Noovo Info concernant «la communication publique» qui ne devait pas «porter atteinte à sa réputation professionnelle».

Malgré la peur des représailles, la mère souhaite exposer le problème et espère aider d’autres parents qui craignent de parler. Mais ce qui la préoccupe, c’est surtout l’impact à long terme des bris de services sur ses enfants.

Les statistiques le démontrent, des conséquences il y en a entre autres sur la diplomation.

«Ces élèves-là qu’on est en train de déscolariser, ils vont être où dans 20 ans?», questionne Laurence Simard-Gagnon.

Selon les données du portrait annuel du gouvernement concernant les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, 60% d’entre eux obtiennent un diplôme ou une qualification sept ans après leur entrée au secondaire.

Notons que le taux de diplomation et de qualification est plus faible pour l’ensemble des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage francophones que pour les anglophones, tant après cinq ans (44,6% comparé à 58,6%) qu’après sept ans (61,10% comparé à 72,1%)

«On perd de plus en plus de jeunes qui ne seront pas diplômés, qualifiés», souligne M. Ducharme.

Les experts rencontrés par Noovo Info pressent le gouvernement de la CAQ de colliger plus de données sur le parcours scolaire des élèves, comme les enfants de Julie qui échappent aux statistiques. Ils sont convaincus que les 3417 cas de bris de service scolaire recensé par Québec en 2025 ne sont que la pointe de l’iceberg. 

Voyez le reportage de Marie-Claude Paradis-Desfossés.

Laurie Gervais

Laurie Gervais

Journaliste