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Vous songez à investir dans Opulatrix, QuantumAI ou Immediate Growth? Attention

Ce qu’on vous vend comme un projet d’investissement est en fait une arnaque.

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Comment débusquer un faux site? Voici les conseils d’un expert Comment débusquer un faux site? Les conseils de Me Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option consommateur.

Les faux sites, les fausses nouvelles et les vidéos créés à l’aide de l’intelligence artificielle polluent le Web de plus en plus et font malheureusement de nombreuses victimes chaque jour. L’une de ces récentes arnaques mise notamment sur l’image de Radio-Canada et du premier ministre canadien, Mark Carney, pour tenter de vous convaincre d’investir de l’argent dans une plateforme afin de remporter des milliers de dollars.

Des publicités et des vidéos nichées sur différentes pages Web vantent le lancement d’une nouvelle plateforme, prétendument autorisé au Québec par le premier ministre du Canada, «un outil simple d’investissements» qui vous promet de gagner des milliers de dollars par semaine ou par mois.

C’est faux.

Une fois la curiosité des gens piquée, ils sont redirigés vers le site «modamlumielero.com» où ils peuvent y voir un article, faussement signé de l’Agence France-Presse, hébergée sur ce qui a toutes les apparences d’être le site d’informations de Radio-Canada.

Encore une fois, c’est faux.

Noovo Info a visité le site une première fois le 12 novembre dernier. Les malfaiteurs faisaient alors la promotion d’Opulatrix, «une plateforme de trading en ligne qui utilise des algorithmes d’intelligence artificielle de pointe pour rechercher et exécuter les transactions les plus rentables sur le marché boursier pour vous».

Capture d'écran | modamlumielero.com Le site modamlumielero.com propose un système d'investissement en usurpant, notamment, l'image de Radio-Canada. 12 novembre 2025. (Capture d'écran | modamlumielero.com)

«Mark Carney a officiellement autorisé le lancement de la plateforme Opulatrix au Québec. La plateforme est désormais accessible à tous les citoyens québécois», pouvait-on lire sur la page Web frauduleuse.

Les fraudeurs écrivaient également que le projet pouvait être considéré comme fiable à 100%, «car il a obtenu une licence d’État, ce qui signifie que tous les dépôts sont assurés par la Banque Nationale du Canada».

Des internautes – probablement faux – laissent également des commentaires soit pour demander de l’information, soit pour parler positivement de leur expérience.

Capture d'écran | modamlumielero.com Capture d'écran datant du 12 novembre 2025 qui montrent des commentaires d'internautes sur la page frauduleuse modamlumielero.com. (Capture d'écran | modamlumielero.com)

Faux. Archi faux.

Plusieurs versions, une arnaque

Les malfaiteurs usent également d’originalité. Lors d’une deuxième visite du site, cette fois le 13 novembre dernier, Noovo Info a constaté que si la trame de fond était la même, il y avait quelques nuances.

L’article, toujours faussement signé l’Agence France-Presse, parlait maintenant de la plateforme Immediate Growth, une soi-disant réponse du premier ministre du Canada, Mark Carney, aux frais de douanes du président américain, Donald Trump.

Capture d'écran | modamlumielero.com La page modamlumielero.com - frauduleuse - présente une nouvelle version d'une plateforme d'investissement, Immediate Growth. 13 novembre 2025. (Capture d'écran | modamlumielero.com)

«Mark Carney a annoncé le lancement du projet gouvernemental Immediate Growth — une initiative qui change déjà la vie de milliers de Canadiens et qui ne montre aucun signe de ralentissement», pouvait-on lire. Des mensonges.

Une autre visite sur le site «modamlumielero.com» effectuée le 14 novembre dernier a permis à Noovo Info de constater que le préambule de la nouvelle était maintenant que le chef du Parti conservateur du Canada (PCC) Pierre Poilievre «appuie le projet de Mark Carney», c'est-à-dire Immediate Growth.

Capture d'écran tiré du site modamlumielero.com Le texte concernant la plateforme d'investissement (frauduleuse) parle cette fois de l'appui du chef du PCC, Pierre Poilievre. (Capture d'écran tiré du site modamlumielero.com)

«Un événement inattendu vient de secouer la scène politique canadienne : le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a annoncé son soutien à un nouveau projet d’investissement porté par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et ex-premier ministre, Mark Carney. Reconnu pour ses critiques sévères à l’égard des initiatives économiques du gouvernement actuel, Poilievre a publiquement souligné le potentiel de la plateforme et son importance pour les Canadiens ordinaires», pouvait-on lire dans l’article.

Avez-vous relevé «ex-premier ministre» dans le commentaire? Contrairement à ce qu'allègue le site, M. Carney est toujours premier ministre du Canada.

Joint par Noovo Info pour réagir à l’utilisation de l’identité de M. Poilievre pour vanter une plateforme financière frauduleuse, l’équipe de ce dernier n’a pas répondu à nos demandes.

Une autre visite sur le site modamlumielero.com, cette fois le lundi 17 novembre, nous montre une autre variante de l’arnaque : les fraudeurs utilisent cette fois les couleurs du site Web Le Devoir et mettent de l’avant l’image du fondateur de Couche-Tard, «Alain Boucher», pour faire la promotion de la plateforme d’investissement «QuantumAI».

Capture d'écran du site modamlumielero.com En date du 17 novembre 2025, la page fait la promotion de la plateforme d'investissement QuantumAI et usurpe l'identité du fondateur de Couche-Tard, nommé Alain Boucher par les fraudeurs alors qu'il s'agit d'Alain Bouchard. (Capture d'écran du site modamlumielero.com)

«Pourquoi des millions de Canadiens font-ils confiance à Alain Boucher, alors que les banques se montrent prudentes ? Tout est dans son nouveau projet, qui rapporte jusqu'à 25 000 dollars par mois et qui est désormais accessible à tous les habitants du pays», peut-on lire sur le site frauduleux.

Il est à noter que si la photo représente bien le fondateur de Couche-Tard, son véritable nom est Alain Bouchard. «Nous vous confirmons que M. Bouchard ne fait aucune promotion de ce genre et que c’est une fausse représentation», a indiqué par courriel l’équipe de Couche-Tard à Noovo Info.

David contre Goliath

Joint par courriel par Noovo Info, l’équipe de Radio-Canada nous a fait savoir qu’elle était bien au courant de cette page frauduleuse et qu’elle déplorait la situation.

«Nous constatons que de plus en plus de faux articles et de fausses vidéos créés par l'IA sont publiés à notre insu sur le Web et les réseaux sociaux. Ces fausses nouvelles imitent la mise en page du site Radio-Canada.ca, copient nos logos, nos images et même celles de personnalités publiques, laissant croire à des contenus publiés par Radio-Canada», a écrit Marc Pichette, porte-parole de Radio-Canada.

Effectivement, intégré à l'article dénoncé dans ce texte, une vidéo du journaliste de Radio-Canada, Gérald Fillion, qui affirme avoir testé la plateforme. Une fausse vidéo, générée par intelligence artificielle.

La société d’État a aussi affirmé travailler avec une entreprise spécialisée dans le blocage de ces sites, ZeroFox, afin de mettre un frein à ce fléau.

«Nous agissons à la fois sur leur fermeture et en lien direct avec les plateformes YouTube et Facebook afin de bloquer les pubs frauduleuses. Nous faisons le maximum pour protéger la marque Radio-Canada et préserver la confiance du public», a expliqué M. Pichette.

Soucieuse d’informer les gens sur ce genre de fraude, Radio-Canada demande au public de demeurer vigilant et de dénoncer les fausses publications.

Une question de sécurité nationale

Le gouvernement du Canada a affirmé à Noovo Info, par l’entremise de Simon Lafortune, directeur adjoint des communications et attaché de presse au Cabinet du ministre de la Sécurité publique, qu’il était devenu «évident» depuis ces dernières années, «que la cybersécurité est un élément essentiel de la sécurité nationale et économique du Canada».

«Ces crimes sont complexes, transnationaux et souvent dévastateurs pour les personnes touchées, et nous continuerons de travailler avec nos partenaires au pays et à l’étranger pour renforcer la prévention, poursuivre les criminels et soutenir les victimes», a partagé M. Lafortune dans un courriel.

Le gouvernement du Canada affirme avoir investi 379 M$ depuis 2019 dans des systèmes de conformité améliorés, dans le renseignement financier, le partage d’information et la capacité d’enquête «afin de suivre l’évolution des tactiques criminelles, notamment l’utilisation de l’intelligence artificielle».

M. Lafortune affirme également que la création du Système national de signalement de la cybercriminalité et de la fraude (SNSCF) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) simplifiera la façon dont les Canadiens signalent les cas de fraude et de cybercriminalité, «ce qui permettra à la GRC d’être mieux outillée pour lutter contre ces menaces».

Comment débusquer un faux site?

«On a une épidémie de fraudes en général au Québec et une épidémie de fraudes d’investissement en particulier», a commenté à Noovo Info lundi Me Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option consommateur.

Me Plourde souligne que ce type de sites frauduleux est souvent difficile à déceler et qu'ils sont pour la plupart très sophistiqués.

«On imite très bien un site de nouvelles connu et reconnu – que ce soit Radio-Canada ou Le Devoir ou même Noovo Info –, on utilise l’image de personnalité publique pour les mettre en confiance. Il y a toutes sortes d’éléments sur ces pages-là qui sont bien construites, qui rendent la fraude très crédible», a-t-il partagé.

Voyez toutes les astuces de Me Plourde pour débusquer les faux sites dans la vidéo tout en haut de l'article.

Selon Me Alexandre Plourde, pour débusquer le vrai du faux, il faut avant tout s'attarder au message véhiculé.

«On mise beaucoup sur l’appât du gain et parfois sur le sentiment d’urgence, mais c’est sûr que des rendements mirobolants, des investissements qui vont générer des pourcentages faramineux pour le consommateur, immédiatement ça devrait nous mettre la puce à l’oreille», a-t-il expliqué.

Une autre astuce consiste à bien vérifier l'adresse URL de la page. «Si c'est un site de nouvelles, on devrait y voir la vraie adresse», a souligné Me Plourde.

En effectuant une analyse de la page hébergée au modamlumielero.com à la recherche d'anomalies, Noovo Info a notamment constaté que dans la zone des commentaires du 12 novembre dernier, quelqu’un qui s’affiche comme un utilisateur de la plateforme, Antoine Simard, affirme avoir reçu un chèque de la RBC de 25 000 dollars — son «bénéfice du mois» — en y joignant une photo de ses gains.

En y regardant de plus près, le chèque semble douteux.

Capture d'écran | modamlumielero.com Un commentaire publié le 12 novembre 2025, disparu depuis, montre un faux chèque de la RBC Banque Royale. (Capture d'écran | modamlumielero.com)

«Nous sommes en mesure de confirmer qu’il ne s’agit pas d’un chèque authentique», a pour sa part confirmé une porte-parole de la RBC Banque Royale à Noovo Info après avoir étudié l’image.

La RBC a d'ailleurs mis en garde ses clients en mai 2025, notamment par un avis sur son site Web, concernant des escroqueries hypertruquées liées aux placements.

«Nous avons récemment pris connaissance d’une publicité hypertruquée dans laquelle une personnalité politique de premier plan, dont l’identité a été usurpée, fait la promotion d’un programme inexistant prétendument soutenu et avalisé par RBC. La publicité promet des rendements élevés et encourage les personnes à saisir leurs renseignements personnels en ligne et à envoyer des fonds pour amorcer le placement», peut-on lire sur l’avis.

Un autre fait qui devrait attirer l'attention des gens et soulever des doutes : l'utilisation de faux liens. Sur la page frauduleuse modamlumielero.com, peu importe où l'on clique, on nous ramène à l'endroit où il faut s'inscrire pour utiliser la plateforme. 

Capture d'écran sur le site «modamlumielero.com» Chacun des liens de la page ramènent le lecteur à la fiche d'inscription. 12 novembre 2025. (Capture d'écran sur le site «modamlumielero.com»)

Me Alexandre Plourde a aussi soulevé ce détail important : «Il y a un formulaire d’inscription pour la plateforme d’investissement frauduleuse directement sur la page d’un média et c’est quelque chose qu’on ne retrouverait jamais […]», a-t-il expliqué à Noovo Info.

La responsabilité des plateformes

Lorsqu’il est question de fraudes, l’un des principaux enjeux demeure la responsabilité des plateformes comme Facebook, TikTok ou X. Me Plourde estime que ces géants du Web n’en font pas suffisamment pour bloquer les contenus frauduleux.

«La porte d’entrée de toutes ces fraudes d’investissements est les plateformes numériques, ce sont des publicités trompeuses sur les réseaux sociaux qui poussent les gens à investir […]», a-t-il souligné.

Me Plourde – comme bien d’autres – estime que le Canada et le Québec devraient se doter d’un levier pour obliger les propriétaires de ces plateformes Web à surveiller davantage les activités liées à la fraude et à bloquer ce type de contenu.

Les plateformes devraient aussi avoir une obligation d’agir lorsque des publicités frauduleuses sont signalées.

«L’enjeu aussi c’est que plein de gens disent qu’ils signalent les fraudes, mais elles ne disparaissent pas, elles restent en ligne malgré tout, et d’autres gens tombent dans le panneau malheureusement», a déploré Me Plourde.

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L’avocat et analyste chez Option consommateur va même plus loin en affirmant que les plateformes devraient porter la responsabilité des fraudes.

«Elles devraient être forcées d’indemniser les consommateurs parce que ce sont elles qui les ont dirigés vers ce type de fraude. C’est un chemin qui est emprunté tranquillement à l’étranger, notamment en Australie où ils ont développé une stratégie antifraude dans laquelle il y a des obligations qui seront imposées aux grandes plateformes parce qu’on reconnait qu’elles sont une porte d’entrée importante vers ce type de fraude», a-t-il expliqué.

Une vaste enquête du média Reuters, mis en ligne le 6 novembre dernier [en anglais], dévoile notamment que selon des documents internes, Meta [propriétaire de Facebook] a estimé en interne à la fin de l’année dernière qu’elle tirerait environ 10% de son chiffre d’affaires annuel total, soit 16 milliards de dollars, de la publicité pour des arnaques et des produits interdits.

Des recours collectifs ont d'ailleurs été déposés au Québec en lien avec la responsabilité des plateformes face à la diffusion de publicités frauduleuse. L’une d’entre elles, déposée en mars 2024, est pilotée par l’animatrice Marie-Claude Barrette. En 2023, Mme Barrette a découvert que son image était utilisée dans une publicité frauduleuse sur Facebook pour faire la promotion de la cryptomonnaie. Face à l’inaction de Meta pour stopper cette fraude, elle a décidé de lancer un recours collectif contre le géant du Web. L’action collective n’a toujours pas été autorisée.

La fraude au Canada en quelques chiffres

Selon le Centre antifraude du Canada (CAFC), les répercussions de tous les types de fraudes commises au pays depuis le début de l’année 2025 – en date du 30 septembre dernier – font état de plus de 23 100 victimes et des pertes financières liées aux fraudes s’élevant à plus de 544 M$.

«N'oubliez pas que si c'est trop beau pour être vrai, ça l'est», rappelle le CAFC sur son site Web.

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En 2024, les escroqueries à l’investissement représentaient 49% des pertes totales en dollars signalées au Centre antifraude du Canada, soit plus de 643 M$.

«Les escroqueries à l'investissement touchent toutes les tranches d'âge, mais ce sont les personnes âgées de plus de 60 ans qui subissent les pertes les plus élevées, à savoir 36 % du total des pertes en dollars liées aux escroqueries à l'investissement», indique le CAFC dans son rapport annuel de 2024.

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Parmi les signalements reçus par le CAFC, la plus grande proportion provient de consommateurs situés en Ontario, suivi du Québec et de la Colombie-Britannique.

Le Centre antifraude du Canada indique dans son rapport annuel de 2024 que la fraude à l’identité a été la principale fraude signalée l’an dernier au Québec suivi de la fraude liée aux renseignements personnels, puis celle liée à «l’enquêteur de la banque» et finalement la fraude à l’investissement.

«Ce qu’on nous dit au Centre antifraude du Canada, c’est que ce sont seulement 5% à 10% des fraudes qui leur sont signalées, donc on peut penser que c’est un problème qui a une ampleur très importante au Québec, au Canada même ailleurs dans le monde», a tout de même rappelé Me Alexandre Plourde.