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«Il y a urgence d’agir, le français recule! On ne va pas dans le mur, on est dans le mur!»
Plusieurs semaines après l’abolition du poste de commissaire au français de Montréal, le nouveau Bureau du français promis par l’administration de Valérie Plante n’existe toujours pas – un «laisser-aller» dénoncé par plusieurs dans ce qui est perçu comme un moment critique pour la langue française.
Caroline Bourgeois, la responsable de la Langue française à l’hôtel de ville, affirmait en février 2025 au Devoir que le Bureau de la langue française verrait le jour «dans un horizon à court terme», parlant même d'une affaire de «semaines». Quatre mois ont passé et le Bureau n’est toujours pas en activité.
La Ville promet publiquement l’annonce de la nomination d’un directeur pour le Bureau ces prochains jours mais, en coulisses, plusieurs considèrent que les derniers mois ont été perdus pour rien: sans directeur responsable de la langue française et sans l’embauche des employés promis, la Ville n’a pas pu évaluer son dernier Plan d'action en matière de valorisation de la langue française, ni en développer un nouveau.
Selon une source consultée par Noovo Info au sein de l’appareil municipal, une adresse courriel pour le futur du Bureau du français de Montréal a été créée récemment pour «sauver les apparences».
«Il n’y a pas de doute qu’une passation du flambeau entre la commissaire et le directeur aurait été optimale», croit cette source.
Depuis le départ de la commissaire, c'est le directeur général de la Ville qui a hérité de certaines décisions relatives au français, mais ce n'est pas sa priorité selon plusieurs, constate Noovo Info.
«Si on veut que le français soit pris au sérieux, on ne peut pas avoir ce poste-là qui n’est pas comblé!» s’indigne Soraya Martinez, candidate à la mairie du parti Ensemble Montréal en vue prochaines élections municipales et principale adversaire du successeur de la mairesse sortante Valérie Plante chez Projet Montréal, Luc Rabouin. «Sachant en plus que la personne quittait en avril… On est deux mois plus tard, rien ne se passe.»
«Le plan d’action est sur une tablette, personne ne s’en occupe. Si on veut préserver le fait français, il faut s’en occuper et rapidement.»
La Ville, elle, défend sa décision.
La responsable Caroline Bourgeois est «fière de dire qu’on avance et qu’on a des réalisations concrètes». «L’idée de la création de ce bureau-là, c’est d’avoir la colonne vertébrale dont la Ville pourra se doter pour assurer la valorisation de la langue française et l’exemplarité», a-t-elle dit à Noovo Info.
La Ville de Montréal affirme qu’en attendant la création du Bureau, plusieurs fonctionnaires continuent de faire le lien avec Québec notamment pour adapter la Ville aux nouvelles exigences de la loi 96 – la Loi sur la langue officielle et commune – qui imposent des règles plus strictes concernant l'utilisation du français sur l'affichage public, les emballages, les sites web et les documents d'entreprise.
Quant au plan d’action 2025-2029, Caroline Bourgeois n’a pas d’échéancier à fournir, mais visiblement, ça devra attendre après les élections de l’automne. «Le plan d’action, je ne peux pas vous dire le temps exact… Ce sera un des premiers mandats de la nouvelle direction de la langue française».
Le poste de commissaire linguistique a été créé à Montréal en 2021. Roseline Fréchette a été la première à occuper cette fonction, mais elle quittera son poste un an et demi plus tard. Il aura fallu six mois pour qu'elle soit remplacée, cette fois par Noémie Dansereau-Lavoie. En entrevue à Noovo info l’an dernier, cette dernière insistait sur l’importance pour elle de faire «rayonner le français».
Maintenant, la décision d’éliminer le poste de Mme Dansereau-Lavoie crée un profond malaise chez plusieurs intervenants, autant au sein de l’appareil municipal que d’observateurs interrogés par Noovo Info.
Cette fonction est associée à une «crédibilité», une «indépendance» et une «liberté de parole» comme le démontrent les commissaires à Québec, en Ontario ou au fédéral. Certains indiquent qu’à terme, le poste de commissaire au français de Montréal aurait pu être nommé par un vote au conseil municipal pour lui donner une plus grande indépendance.
«Un commissaire a la marge de manœuvre pour sortir sur la place publique et dénoncer les acteurs politiques», dit une source à Noovo Info. «Là, le directeur n’aura pas cette liberté d’action. Jamais un directeur de la Ville ne va dénoncer publiquement la Ville!»
Le rapport du comité sur la langue française conduit par Louise Harel et publié en 2024, proposait bien de «créer un Bureau de la langue française et de la francophonie», mais suggérait de le placer «sous la responsabilité de la commissaire à la langue française», non pas d’un directeur.
«Je ne suis pas inquiète, mais on verra si la recommandation d’implanter un bureau on est gagnant ou si on aurait été plus gagnant en gardant le poste de commissaire», lance Mme Harel avec candeur lorsque questionnée par Noovo Info.
Une autre source à la Ville considère qu’un directeur peut en faire davantage pour transformer l’appareil municipal vers «l’exemplarité en matière de français», mais que «son rôle n’est pas celui d’un commissaire; […] Il aurait fallu conserver les deux postes».
«Si le mandat principal du Bureau est d’agir à l’interne sur la machine municipale, c’est une absurdité en 2025 dans le contexte linguistique de Montréal actuel!» indique un intervenant impliqué dans la francophonie québécoise depuis des décennies et qui souhaite conserver l’anonymat pour ne pas nuire à ses liens avec Montréal.
«Il faut une voix forte qui porte le français à l’extérieur des murs de l’hôtel de ville et agit comme chien de garde et porte-voix pour passer le message de la Ville», ajoute cet intervenant. «Le nouveau commissaire à Québec, Benoît Dubreuil, s’est imposé car il sait nommer les choses et qu’il est capable d’aller sur la place publique librement.»
La section montréalaise de la Société Saint-Jean-Baptiste salue la création d’un nouveau Bureau avec des employés attitrés, mais sa présidente Marie-Anne Alepin se pose quand même quelques questions. «J’ai encore des questions», affirme-t-elle. «On ne sait pas le budget opérationnel, on ne sait pas le plan. Il y a urgence d’agir, le français recule! On ne va pas dans le mur, on est dans le mur!»