L’ancien ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, écrivait en septembre 2021 que le projet informatique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) était «en dépassement de coût (...) depuis longtemps».
M. Caire a poursuivi son témoignage mercredi devant la commission Gallant, qui enquête sur le virage numérique raté de la SAAQ.
Il a dû s'expliquer sur un échange de courriels en date du 10 septembre 2021. Sa directrice de cabinet, Julie Bérubé, l'informe d'une demande du bureau du ministre des Transports pour une note d'information sur la situation du projet nommé CASA (Carrefour des services d'affaires), qui comprend la plateforme SAAQclic.
Mme Bérubé indique que «le souci de CASA est le même que l'ensemble du Québec: manque de RH (ressources humaines). Ainsi, ce manque de RH pourrait affecter le budget et l'échéancier du projet CASA».
M. Caire répond qu'il doute que «la pénurie de main-d'oeuvre explique tout» concernant les difficultés liées au projet CASA. «Ils étaient en dépassement de coût et d'échéancier depuis longtemps», poursuit celui qui était à l'époque ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale.
Interrogé sur cette affirmation devant la commission, M. Caire a soutenu ignorer à l'époque l'ampleur du dépassement de coûts. L'information était «floue» et il ne connaissait pas le coût du contrat avec le consortium ni le budget total du projet, a déclaré le député caquiste.
Le commissaire Denis Gallant lui a demandé comment il pouvait affirmer à cette époque que CASA était confronté à un dépassement de coûts s'il ignorait la facture totale du virage numérique.
M. Caire a évoqué que l'effet de la pandémie et le report d'un an du déploiement de SAAQclic entraînaient forcément «des impacts budgétaires».
«Oui, j'ai une idée qu'il va y avoir des dépassements de coûts. Mais si vous me demandez: est ce qu'à ce moment-là, je sais qu'on va dépasser, on va payer 940 millions $ pour le projet? La réponse à ça, monsieur le commissaire, c'est non, vraiment pas», a affirmé l'élu.
M. Caire a indiqué avoir pris connaissance pour la première fois du portrait budgétaire de CASA en juin 2022, moins d'un an avant le lancement de SAAQclic.
M. Caire a dit ne pas avoir pris de mesures particulières pour assurer un suivi des coûts et s'informer de l'ordre de la hausse du budget. Selon lui, ce mandat ne relevait pas de son ressort.
«C'est un organisme (la SAAQ) indépendant. C'est un organisme qui est dirigé par un conseil d'administration. Est-ce que le ministre délégué à la Transformation numérique fait des suivis de projets? Oui. Mais est-ce que la responsabilité au niveau budgétaire incombe au conseil d'administration? Très certainement», a-t-il soutenu.
D'après M. Caire, CASA n'était pas, à l'époque, dans «une situation où ce projet-là va mal, où il y a des sonnettes d'alarme».
Rappelons que le projet CASA devrait coûter au moins 1,1 milliard $, soit 500 millions $ de plus que prévu, selon le Vérificateur général du Québec (VGQ).
M. Caire a affirmé n'avoir jamais été mis au courant en 2022 d'un coût supplémentaire de plus de 200 millions $ pour compléter le projet CASA.
Proposition de mise sous tutelle
Au lancement raté de SAAQclic en février 2023, le Service d'authentification gouvernementale (SAG) est rapidement pointé du doigt par la société d'État, s'est souvenu M. Caire.
Ce système implanté par son ministère permet aux citoyens de s'identifier pour accéder à certains services en ligne, notamment à la plateforme transactionnelle de la SAAQ.
Face au premier ministre qui l'interpelle sur l'accès au SAG, M. Caire a défendu le système en mars 2023, selon un échange de courriels exhibé à la commission Gallant. Il écrit à François Legault qu'il est «inexact d'attribuer» au SAG les difficultés rencontrées par SAAQclic.
M. Legault lui répond qu'il se demande s'il doit congédier le PDG de la SAAQ, qui était Denis Marsolais. «On a l'air du fédéral avec ses passeports...», écrit le premier ministre.
M. Caire envoie un autre courriel dans lequel il s'en prend à M. Marsolais. Il l'accuse de s'être «pressé de nous jeter devant l'autobus maintenant que son projet bas (sic) de l'aile», faisant référence à lui et à la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.
Devant la commission, M. Caire a révélé avoir proposé à la même époque de mettre la société d'État sous tutelle. Son sous-ministre l'a «ramené à l'ordre», jugeant l'idée mauvaise, a témoigné l'élu.
L'ancien ministre a également expliqué avoir envoyé de la documentation au chef de cabinet du premier ministre afin de prouver que, lors d'une présentation de la SAAQ en juin 2022, «on s'est fait dire qu'on serait prêt pour le 3 janvier et que c'était canné».
Il voulait assurer le bureau du premier ministre que son équipe et lui avaient fait leur travail, a-t-il dit.
M. Caire a toutefois été questionné sur son absence à une «rencontre au sommet» avec divers intervenants du gouvernement et de la SAAQ portant sur la situation du projet CASA à l'automne 2021.
Le député de La Peltrie s'est défendu d'avoir eu un manque d'intérêt à l'époque sur les coûts et la portée du projet. «Il y a des problèmes qui ne sont pas hors de l'ordinaire par rapport à un projet comme celui-là et pour lesquels il y a des gens en autorité qui s'en occupent. En tout cas, c'est la perception que j'en ai», a-t-il déclaré.
M. Caire est devenu émotif lorsque la procureure de la commission, Mélanie Tremblay, a voulu aborder sa démission en février 2025 à la suite de la sortie du rapport du VGQ. La commission s'est arrêtée quelques minutes avant de reprendre le témoignage de M. Caire sur cet épisode de sa vie politique.

