La Banque du Canada a choisi de maintenir son taux d'intérêt directeur à 2,75 %, plaidant que l’incertitude entourant les droits de douane imposés par les États-Unis est encore élevée.
«L’incertitude reste élevée», a indiqué le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, dans une déclaration rendue publique après la publication de la décision.
«Pour cette décision, il y avait un consensus clair pour laisser le taux directeur inchangé afin d’amasser plus d’informations», a-t-il ajouté.
Les économistes et les marchés financiers s'attendaient largement à un deuxième maintien consécutif.
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M. Macklem a souligné que des évolutions positives avaient été observées sur le front des droits de douane depuis la décision d'avril de la banque centrale, mais que des restrictions commerciales subsistaient et que la menace de nouveaux droits de douane plane toujours.
Mercredi a marqué l'entrée en vigueur de nouveaux droits de douane de 50 % sur les importations d'acier et d'aluminium aux États-Unis, soit le double du taux précédent.
La Banque du Canada maintient son taux directeur élevé lorsqu'elle souhaite contenir les dépenses pour freiner l'inflation et l'abaisse lorsqu'elle souhaite stimuler l'économie.
Les perturbations du commerce mondial liées à la campagne tarifaire des États-Unis et les représailles du Canada peuvent avoir pour effet de faire grimper les prix et de freiner la croissance.
Plus d'attention portée aux risques
Le gouverneur a réitéré que la Banque du Canada serait «moins tournée vers l’avenir que d’habitude» et plus attentive aux risques.
En avril, cela s'est traduit par le renoncement à une prévision centrale de l'inflation et de l'économie dans le rapport trimestriel sur la politique monétaire de la banque centrale, au profit de la publication de deux «scénarios» illustratifs de l'évolution possible de diverses situations tarifaires pour le Canada.
M. Macklem a mentionné qu'il y avait des «avis partagés» quant à l'orientation future de la politique monétaire au sein du conseil de direction de la banque centrale.
Mais il a ajouté que, «dans l'ensemble», le conseil estimait que la Banque du Canada avait la possibilité d'abaisser son taux directeur si des signes apparaissaient que le conflit tarifaire commençait à affaiblir l'économie, tandis que les pressions sur les prix restaient contenues.
Il a toutefois mis en garde contre le fait de considérer cette référence aux délibérations des décideurs politiques comme une indication des prochaines mesures que la banque centrale pourrait prendre.
Il a précisé que la Banque du Canada s'efforcerait de trouver un équilibre à l'avenir.
«Nous continuerons de soutenir la croissance économique tout en veillant à ce que l’inflation reste bien maîtrisée», a-t-il fait savoir.
La banque centrale surveillera l'impact du conflit tarifaire sur l'inflation lorsqu'elle évaluera ses futures décisions de politique monétaire.
La prochaine décision de la Banque du Canada concernant les taux d'intérêt est prévue le 30 juillet, en même temps que la publication d'un nouveau rapport sur la politique monétaire.
La première sous-gouverneure, Carolyn Rogers, a avancé mercredi qu'elle espérait que la Banque du Canada puisse revenir à une prévision centrale à ce moment-là, mais a précisé que cela dépendrait de l'évolution de la situation commerciale et des données économiques d'ici là.
L'économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean, estime qu'une baisse du taux directeur aurait été justifiée devant les signes de détérioration du marché de l'emploi, notamment à cause des droits de douane touchant les industries de l'acier, de l'aluminium et de l'automobile, en plus d'autres sources d'inquiétudes.
«Cela donne le signal que la Banque du Canada ne va pas voler au secours de l'économie et ne va pas baisser les taux de manière radicale dans les prochains trimestres.»
Avery Shenfeld, économiste en chef de la Banque CIBC, a précisé mercredi dans une note à ses clients qu'il s'attendait à une baisse d'un quart de point en juillet si le marché de l'emploi présentait davantage de fissures et si l'inflation diminuait sur les produits non soumis à des droits de douane.
Il a indiqué prévoir une autre baisse en septembre, ramenant le taux directeur à 2,25 %.
Des signes d'inquiétude
Bien que l'économie ait dépassé les attentes de la Banque du Canada au premier trimestre de l'année et que l'inflation annuelle soit repassée sous la barre des 2 % en avril, la banque centrale a décelé des signes d'inquiétude sous les chiffres globaux.
L'inflation a reculé à 1,7 % en avril, en grande partie grâce à la suppression de la taxe sur le carbone pour les consommateurs par le gouvernement fédéral, qui a fait baisser les prix à la pompe. Hors taxes, l'inflation se serait établie à 2,3 % pour le mois, contre 2,1 % en mars, et dépassant les attentes de la banque centrale.
La banque centrale a indiqué que les dernières données sur les prix sont «légèrement plus fortes que prévu», notamment en ce qui concerne la hausse de l'inflation sous-jacente.
Même s'il est «encore trop tôt» pour constater l'impact des mesures de rétorsion sur les données sur les prix à la consommation, les signes d'une résurgence des pressions sous-jacentes pourraient «refléter les effets des perturbations commerciales», selon M. Macklem.
Bien que la décision de la banque centrale suggère qu'elle n'est pas disposée à réduire davantage ses taux, Douglas Porter, économiste en chef de la Banque de Montréal, a avancé dans une note «qu'une combinaison de ralentissement de l'activité et de tendances plus modérées de l'inflation sous-jacente incitera à prendre des mesures supplémentaires».
Même avec un ralentissement de l'inflation, le ralentissement économique attendu laisse la porte «grande ouverte» à une baisse en juillet, a-t-il ajouté.
Leslie Preston, économiste principale à la Banque TD, prévoit également des baisses.
«Nous prévoyons qu'à moins d'un miracle dans les négociations commerciales avec l'administration Trump, l'économie canadienne risque de basculer en récession cette année, et de nouvelles baisses de taux d'intérêt seront nécessaires», a-t-elle écrit.
Les chiffres du produit intérieur brut réel du premier trimestre ont aussi dépassé les prévisions de la Banque du Canada, s'établissant à 2,2 %. Cette croissance est en grande partie due à la précipitation des entreprises à contourner les droits de douane. Ces effets s'inverseront dans les mois à venir, a averti M. Macklem, qui estime que le deuxième trimestre «devrait être beaucoup plus faible».
Par ailleurs, les secteurs de l'économie qui sont sensibles aux échanges commerciaux affichent une certaine faiblesse du marché du travail, tandis que les reventes de logements et les dépenses publiques ralentissent également. Les dépenses des entreprises et des ménages canadiens ont fait preuve d'une «certaine résilience», a avancé M. Macklem. Il a toutefois ajouté qu'elles «resteront probablement prudentes».
Le gouvernement fédéral cherche également une solution à l'incertitude commerciale avec les États-Unis. Ottawa a annoncé son intention de déposer son budget annuel à l'automne, plutôt qu'au printemps comme d'habitude.
M. Macklem a indiqué que la Banque du Canada continue d'examiner l'impact des décisions de dépenses gouvernementales sur les projections d'inflation et de croissance, mais a refusé de répondre à la question de savoir si l'absence de budget printanier assombrissait davantage les perspectives.
Selon lui, le budget n'est pas la plus grande source d'incertitude pour l'économie, contrairement aux droits de douane américains.

