Le gouvernement du Québec a refusé du financement fédéral destiné à lutter contre le racisme systémique dans le système judiciaire, disant ne pas être d'accord avec l'approche du programme.
Le gouvernement fédéral a d'abord offert un financement de 6,64 millions $ aux provinces et aux territoires en 2021 afin d'améliorer l'équité dans les tribunaux.
Réparti sur cinq ans, cet investissement visait à remédier à la surreprésentation des Noirs dans le système de justice pénale en encourageant le recours à des évaluations culturelles avant le prononcé des peines.
Les «évaluations de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle» (EIOEC) analysent les «effets de la pauvreté, de la marginalisation, du racisme et de l’exclusion sociale sur le délinquant et son expérience de vie».
Alors que la plupart des provinces ont accepté le financement fédéral destiné à soutenir les accusés ou à couvrir les coûts des évaluations au moyen de leurs programmes d'aide juridique, le Québec ne l'a pas fait.
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Dans un courriel adressé à La Presse Canadienne, une porte-parole du ministère de la Justice a fait savoir que Québec ne prend part à aucune «entente de financement pour les évaluations sur les incidences de l’origine ethnique et culturelle (EIOEC)».
Elle a ajouté que «le Québec n’adhère pas à l’approche sur laquelle le programme de financement est basé, soit le racisme systémique».
Ces évaluations sont utilisées depuis plus de dix ans dans les tribunaux canadiens par les avocats de la défense qui cherchent à obtenir des peines équitables. Jusqu'à récemment, le Québec faisait figure d'exception.
La toute première évaluation devant une juge au Québec
David Nyarko, membre du conseil d'administration de l'Institut de justice Viola Desmond, établi à Montréal, un organisme qui lutte contre le racisme envers les Noirs dans le système de justice pénale, affirme que la position du gouvernement désavantage les accusés.
L'institut souhaite que les évaluations deviennent systématiques dans les procédures pénales de la province, mais M. Nyarko affirme que le manque de financement de l'aide juridique du Québec rend cette mission difficile. Par conséquent, il a précisé que leur équipe travaille en grande partie bénévolement.
«La majorité de notre travail est effectué sans aucune forme de rémunération», a-t-il déploré.
Il croit qu'un jour, la province reconnaîtra l'existence du racisme systémique. Entre-temps, il a affirmé que son organisation n'avait aucune intention de ralentir ses travaux.
«Nous croyons que le racisme systémique est bien vivant et existe au Québec, a déclaré M. Nyarko. Quelle que soit sa position, nous allons poursuivre notre travail et faire de notre mieux, avec ou sans son soutien.»
L'institut a joué un rôle clé dans la production de la toute première évaluation raciale et culturelle présentée à une juge québécoise, avant la décision sur la peine en juillet.
L'évaluation retraçait l'histoire de Frank Paris, 52 ans, un homme qui a plaidé coupable pour trafic de cannabis et de haschisch. Elle décrivait également le lien entre ses crimes et le racisme et la pauvreté auxquels il était confronté en tant que survivant intergénérationnel de l'esclavage.
La juge Magali Lepage lui a infligé une peine réduite de 24 mois, contre les 36 mois recommandés par le ministère public, selon son avocat Andrew Galliano. Comme il a bénéficié d'un crédit pour le temps déjà passé en détention, M. Paris a été libéré.
Nicole Mitchell, l'une des coauteures de son évaluation, a estimé que le Québec devrait saisir l'occasion d'accéder aux fonds fédéraux.
L'approche actuelle de la province empêche les personnes noires et autres personnes racisées d'avoir accès à des services d'aide juridique essentiels, fondés sur la justice et adaptés à leur culture, a-t-elle déclaré.
La disparité devant la justice
Les statistiques fédérales publiées dans un rapport du ministère canadien de la Justice en 2022 ont montré que les Noirs étaient 24 % plus susceptibles de purger une peine après leur arrestation ou leur condamnation, et 36 % plus susceptibles d'être condamnés à deux ans ou plus que les délinquants blancs.
En 2021, le taux de personnes noires accusées d'homicide était près de six fois plus élevé que celui des personnes non racisées, a également relevé le ministère fédéral.
«La principale raison pour laquelle je me suis impliquée dans tout cela, c'est que je voulais faire une différence positive au sein de la communauté noire», a expliqué Mme Mitchell, également doctorante en travail social à l'Université McGill. «Je ne veux pas que les Noirs soient surreprésentés dans le système de justice pénale.»
Le Canada a récemment élargi son programme d'aide juridique afin de remédier aux disparités reflétées dans les statistiques fédérales, annonçant en 2024 une augmentation du financement à 16 millions $ sur cinq ans pour répondre à cette problématique.
En plus du financement des organismes de défense des droits civiques qui produisent les évaluations, les cliniques d'aide juridique provinciales et territoriales ont également reçu du financement. Le programme a également soutenu des efforts nationaux de formation et des campagnes de sensibilisation.
Cependant, il a toujours été laissé aux provinces et aux territoires la possibilité de décider s'ils souhaitaient utiliser les fonds et comment ils le feraient.
Le gouvernement fédéral affirme qu'il n'existe aucune entente de financement active à l'Île-du-Prince-Édouard, en Saskatchewan et en Alberta. Il n'en existe pas non plus au Nunavut ni dans les Territoires du Nord-Ouest.
«Le Canada demeure prêt à collaborer avec le Québec et les autres provinces et territoires intéressés pour soutenir la mise en œuvre des EIOEC dans leurs administrations respectives», a indiqué Kwame Bonsu, porte-parole du ministère fédéral de la Justice.
Le ministère a indiqué avoir conclu une entente avec l'Alberta, mais celle-ci a été suspendue en décembre 2024.
Un porte-parole du ministre de la Justice de l'Alberta n'a pas répondu directement à une question sur les raisons de la suspension de l'entente par la province.
«Nous continuons de soutenir les programmes qui répondent aux besoins des participants au système judiciaire, notamment les programmes judiciaires spécialisés, comme les tribunaux de traitement de la toxicomanie, les tribunaux autochtones et les tribunaux de santé mentale», a écrit la porte-parole Heather Jenkins.
Un porte-parole du ministre de la Justice de l'Île-du-Prince-Édouard a déclaré que, bien que le gouvernement n'ait pas encore reçu ce financement, les intervenants, dont son bureau de lutte contre le racisme, s'engagent à «explorer» l'utilisation des évaluations.
Le service d'aide juridique de la Saskatchewan affirme quant à lui être en pourparlers avec le gouvernement fédéral dans l'espoir de conclure une entente de financement, mais qu'il fait face à des difficultés en raison du manque de professionnels qualifiés dans la province.
Le ministère de la Justice des Territoires du Nord-Ouest a indiqué à La Presse Canadienne que les avocats de la défense sont invités à communiquer avec leur bureau d'aide juridique pour demander un remboursement.
Le ministère de la Justice du Nunavut a quant à lui indiqué qu'il ne pouvait pas répondre immédiatement à cette question.
