Le gouvernement du Canada s'attend à ce que 179 684 armes à feu «de styles arme d'assaut» aujourd'hui prohibées, mais légalement acquises, aient été rendues aux autorités ou désactivées en vertu de son programme de rachat, une fois qu'il aura été complété.
Ce programme, promis depuis 2020 par les libéraux sous l'ancien leadership de Justin Trudeau, s'ouvrira cet automne à tous les particuliers concernés au Canada, à une date qui reste à déterminer puisque le gouvernement de Mark Carney a décidé de mettre en place, dans un premier temps, un projet pilote.
«J'aurais préféré que ceci soit fait beaucoup plus tôt», a dit mardi le ministre de la Sécurité publique, Gary Anandasangaree, en procédant à l'annonce de cette implantation par étape.
Un peu plus tôt, de hauts représentants gouvernementaux ont soutenu que cette façon de procéder avec un programme à petite échelle qui aura lieu au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, «permettra de corriger tout problème dans le système».
Ce système permettra aux individus de déclarer leur arme désactivée, de prévoir un rendez-vous pour s'en départir, s'ils le souhaitent, ainsi que de recevoir, éventuellement, une indemnité. Dans le cadre du projet pilote, le fédéral estime qu'il collectera environ 200 armes.
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Puis, quand le programme de rachat s'étendra partout au pays, les hauts représentants offrant une séance d'information technique aux médias ont dit estimer qu'un total de 179 684 armes seront visées pour être remises aux autorités ou conservées, mais neutralisées pour ne plus pouvoir être utilisées.
Cela inclut des modèles détenus par des entreprises, qui ont déjà été appelées à participer, dès l'automne 2024, à un premier volet du programme de rachat. Ainsi, 12 000 armes ont déjà été recueillies, a-t-on fait savoir, et 22 millions $ ont été versés en compensations. Environ 11 millions $ sont toujours disponibles pour être distribués relativement à cette phase du programme, a-t-il été spécifié.
Un autre 215,1 millions $ est quant à lui alloué à des indemnités aux particuliers partout au Canada. Les versements se feront sur la base du «premier arrivé, premier servi», a-t-on précisé.
Depuis mai 2020, Ottawa a commencé à interdire environ 2500 types d'armes à feu au motif qu'elles ont leur place seulement sur le champ de bataille, et non entre les mains de chasseurs ou de tireurs sportifs.
Trois décrets d'amnistie sont toujours en vigueur - deux se terminant en octobre prochain et l'un en mars 2026 - et prémunissent les propriétaires d'armes légalement acquises de sanctions criminelles pendant qu'ils prennent des mesures pour se conformer à l'interdiction, ont rappelé les représentants du gouvernement.
Un important groupe militant pour un resserrement du contrôle des armes à feu, PolySeSouvient, déplore que la carabine semi-automatique SKS ne fasse toujours pas partie des modèles prohibés.
Ce modèle est employé dans des communautés autochtones pour chasser, mais la SKS a également été utilisée dans des meurtres de policiers et d'autres fusillades qui ont été très médiatisés.
Du point de vue de PolySeSouvient, tant que la SKS ne sera pas interdite, le Canada n'aura pas de réelle interdiction des armes d'assaut.
Selon le groupe, les nouveaux modèles de SKS inonderont le marché et remplaceront les armes qui ont été interdites.
Questionnée à ce sujet, la secrétaire d'État et survivante de la tuerie de Polytechnique, Nathalie Provost, a insisté pour dire qu'elle est bien consciente du travail qu'il reste à faire par le gouvernement Carney dont elle fait partie.
«Soyez sans crainte, je reste vigilante parce que je suis très consciente qu'il faut qu'il y ait une position qui soit adoptée par rapport au SKS compte tenu du type d'arme que c'est, mais on doit considérer l'ensemble du dossier», a-t-elle dit aux côtés du ministre Anandasangaree.
Avant de se lancer en politique, Mme Provost s'impliquait activement au sein de PolySeSouvient.
Le ministre sur la sellette
Au cours de son point de presse, le ministre Anandasangaree a été pressé de questions quant à ses propos dans un enregistrement capté à son insu dans lequel il affirme notamment que, si c'était à refaire, il aurait fait les choses différemment au chapitre du programme de rachat d'armes.
«J'ai la confiance absolue en ce programme», a-t-il assuré mardi en revenant sur des propos qu'il avaient qualifiés, la veille, de «malavisés».
Dans des extraits d'une conversation privée avec une personne qu'il connaît, on peut entendre le ministre suggérer qu'une personne ne devrait pas craindre d'être arrêtée pour avoir refusé de remettre une arme à feu prohibée, car la police municipale dispose de peu de ressources à consacrer à ce genre de situation.
On peut aussi entendre le ministre souligner que l'appui est fort au Québec pour un resserrement du contrôle des armes à feu, laissant entendre que la réalité n'est pas la même ailleurs au Canada.
La Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu a fait circuler dimanche les extraits de l'enregistrement en question. L'organisation estime que le gouvernement s'attaque injustement à des détenteurs d'armes acquises légalement et promet de se battre «jusqu'au bout».
«Nous avons toujours défendu les propriétaires d'armes à feu quand cela comptait le plus, et nous continuerons à le faire jusqu'à ce que tout cela soit défait ou qu'il ne reste plus rien», a déclaré mardi, sur son site web, la coalition, rappelant qu'elle espère que la Cour suprême du Canada se saisira de la question.
Dans un commentaire écrit envoyé aux médias, le groupe fait valoir que les extraits audio démontrent que le programme est une affaire de politique plutôt que de sécurité publique.
Aux Communes, les conservateurs en ont fait leurs choux gras au cours de la période des questions, réitérant à chaque occasion leurs appels à ce que le premier ministre congédie M. Anandasangaree, à qui ils reprochent d'avoir procédé à l'annonce malgré ses propos.
«Il avait raison dans l'enregistrement, a dit leur chef, Pierre Poilievre, en parlant du ministre. C'est un gaspillage de 700 millions $ enlevé de nos forces frontalières et policières pour poursuivre des chasseurs et des tireurs sportifs, ce qui va mettre en danger la vie des Canadiens.»
La somme à laquelle M. Poilievre fait référence a été mentionnée par M. Anandasangaree dans l'un des extraits audio.
Les bloquistes, qui demandent quant à eux la mise en place du programme de rachat depuis des années, s'en sont aussi pris au ministre en revenant sur ses déclarations captées à son insu.
«Les propos (de M.) Anandasangaree révélés hier sont clairs: il n’endosse pas ce programme et n’a fait cette annonce que pour satisfaire à des pressions électoralistes. Nous craignons que le programme de rachat se solde par un échec à cause du manque de sérieux des libéraux en matière de sécurité publique», a commenté, par écrit, la porte-parole du Bloc québécois pour ce dossier, Claude DeBellefeuille.
Quant au chef adjoint des néo-démocrates, Alexandre Boulerice, il estime que ce sera «difficile» pour le ministre de conserver son poste puisque, selon lui, il s'est contredit en privé sur ce qu'il dit en public, en plus de, «par le biais, un peu blâmer le Québec».
- Avec des informations de Jim Bronskill

