À peine le froid et la neige revenus, des centaines de milliers de Québécois ont été privés d’électricité cette semaine, souvent en raison d’arbres tombés sur les lignes. Pour plusieurs experts, l’enfouissement des fils s’impose comme une solution de long terme, alors que ces interruptions risquent de se multiplier à mesure que les épisodes météo extrêmes deviennent plus fréquents.
Pour Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier, il est indéniable que la province est en retard dans l’enfouissement du réseau. «C’est chaque année moins acceptable, parce que chaque année l'électricité joue un rôle de plus en plus central dans nos vies», souligne celui qui est aussi professeur de physique à l’Université de Montréal.
«La question d'enfouissement des fils aurait dû être au programme de manière normale il y a déjà 30 ou 40 ans», juge le spécialiste.. «Or, on n’arrive pas à se moderniser», ajoute-t-il.
Alors pourquoi ce chantier n’a-t-il toujours pas été élargi au Québec? Une partie de la réponse tient aux coûts que représente une telle transformation, particulièrement dans les secteurs déjà urbanisés, un frein majeur selon plusieurs spécialistes.
«C’est extrêmement dispendieux surtout lorsqu'on parle de quartiers qui sont déjà bâtis», explique François Bouffard, professeur agrégé en génie électrique à l’Université McGill.
Il donne l’exemple du quartier Côte-des-Neiges, à Montréal, où les installations sont souvent situées dans des emprises à l’arrière des bâtiments.
«On devrait creuser dans les cours des gens», explique M. Bouffard. «Donc, ça implique beaucoup de déplacements de machinerie et ça pourrait coûter très cher», poursuit-il.
Pour M. Bouffard, il serait logique de profiter des grands chantiers municipaux pour accélérer la transition.
«On pourrait par exemple profiter d’une réfection du réseau d’aqueduc pour enfouir les fils en même temps», propose-t-il.
L’argent, nerf de la guerre
Dans un courriel transmis à Noovo Info, Hydro-Québec précise que son réseau de distribution «s’étend sur plus de 100 000 km, dont un peu plus de 10% est enfoui», un taux qui monte à près de 60 % sur l’île de Montréal.
La société d’État évoque plusieurs contraintes pour justifier les progrès modestes dans ce dossier.
Au premier chef, le coût. «Un kilomètre de réseau enfoui peut coûter jusqu’à dix fois plus cher qu’un kilomètre de réseau aérien». Elle énonce aussi que les réparations sont plus longues et complexes lorsqu’une panne survient sous terre.
Des arguments que digère mal Normand Mousseau, qui estime que «c'est à nous de trouver les solutions pour réduire les coûts, pour faire en sorte que ça soit compétitif, plutôt que de nous resservir la même justification depuis 60 ans pour une inaction qu'on ne retrouve pas ailleurs dans le monde».
Mais il y a de l’espoir: Hydro-Québec dit notamment une technique d’enfouissement allégée, moins coûteuse, utilisée sur sept kilomètres de réseau au cours de la dernière année.
Manque de «courage» des municipalités?
Selon François Bouffard, l’avancée de l’enfouissement dépend surtout des instances locales.
«Ce n'est pas nécessairement la décision d’Hydro-Québec, c'est la décision des développeurs, c'est la décision des élus municipaux qui décident de ne pas imposer l'enfouissement dès le départ», note-t-il.
Il ajoute que le Québec pourrait aller plus loin si les municipalités prenaient des décisions plus structurantes.
M. Bouffard estime que «si on développe des nouveaux quartiers, par défaut, on va enfouir », mais seulement si « les élus municipaux ont du courage».
Les pannes hivernales se répètent, et pour les experts, la question est désormais de savoir jusqu’où la province est prête à investir pour limiter les interruptions de service liées aux tempêtes.

