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Ottawa réduit l'aide étrangère à un niveau comparable à celui prépandémie

Des organisations humanitaires estiment que le Canada se désengage de ses points forts sur la scène internationale.

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Le gouvernement Carney dévoile son premier budget Le gouvernement Carney dévoile son premier budget

Le gouvernement Carney annonce une réduction de l'aide étrangère à un niveau comparable à celui d'avant la pandémie, malgré sa promesse électorale de ne pas la réduire.

Le budget présenté mardi prévoit des coupes de 2,7 milliards $ sur quatre ans, qui affecteront notamment les projets de santé mondiale. Ottawa réduit également son soutien à un centre de recherche sur l'aide de renommée internationale.

Le gouvernement n'a pas encore communiqué le montant du budget de l'aide pour cette année, et des organisations humanitaires estiment que le Canada se désengage de ses points forts sur la scène internationale.

Le financement de développement destiné aux programmes de santé mondiale sera réduit, «un domaine où la contribution du Canada avait crû de manière disproportionnée par rapport à d’autres économies de taille similaire», indique le document budgétaire.

On ne sait pas encore où les coupes budgétaires seront effectuées. Le budget évoque la réduction de l'aide au développement international «en tirant parti d’outils novateurs tout en dirigeant le soutien vers les pays qui en ont le plus besoin» et la révision des accords existants avec certains pays.

Le budget précise également que le Canada réduira son financement «à certaines institutions financières internationales» tout en cherchant des moyens pour exploiter davantage les contributions du Canada. 

Le Canada a consacré 6 milliards $ à l’aide au cours du dernier exercice financier clos en mars 2024, auxquels s’ajoutent 2,6 milliards $ en assistance financière internationale, notamment sous forme de prêts à l’Ukraine. Les dépenses totales liées à l’aide, y compris le soutien aux réfugiés au Canada et les subventions au développement, se sont élevées à 12,3 milliards $ au cours du dernier exercice financier.

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Ottawa a accru ses dépenses en matière de développement et d’aide humanitaire pendant la pandémie, en partie pour relancer la lutte contre des maladies graves, comme le sida et la tuberculose, alors que les gouvernements concentraient leurs efforts sur la COVID-19. Les États-Unis ont considérablement réduit leur aide cette année.

Les pays en développement sont toujours aux prises avec une crise de la dette alimentée par des taux d’intérêt élevés, qui ont grimpé en flèche lorsque les gouvernements des pays riches ont dépensé massivement pendant la pandémie. Ils sont également confrontés à une augmentation du nombre et de l’intensité des catastrophes naturelles en raison des changements climatiques.

Sous l’égide du «financement des transactions commerciales», le gouvernement réaffecte 138 millions $ du financement actuel d’Affaires mondiales Canada, provenant principalement d’une enveloppe qu’Ottawa utilise pour annoncer des financements lors de sommets internationaux, à la reconstruction des infrastructures essentielles de l’Ukraine.

Le gouvernement affirme que la reconstruction de l'Ukraine pourrait stimuler l'industrie canadienne «dans presque tous les secteurs, dont ceux de l’ingénierie, de l’énergie, de l’agroalimentaire, des soins de santé et des technologies».

Des organismes préoccupés

Des organisations humanitaires accusent le premier ministre Mark Carney de ne pas respecter la promesse qu'il avait faite le 9 avril lors d'un arrêt de campagne à Calgary, lorsqu'il avait déclaré aux journalistes que son «gouvernement ne réduirait pas l'aide étrangère».

Taryn Russell, directrice exécutive de l'organisme Résultats Canada, a déclaré qu'Ottawa n'avait pas apporté la clarté attendue par les organisations humanitaires après avoir laissé entendre que le budget préciserait les priorités en matière d'aide.

«Le budget est rempli de discours sur la sécurité du Canada, et nous constatons un véritable décalage entre cela et la réduction du budget de l'aide, qui contribue énormément à la préparation aux pandémies, à la sécurité et à la consolidation de la paix, à la lutte contre les changements climatiques et à la gestion des catastrophes naturelles», a-t-elle indiqué.

Mme Russell s'est dite troublée par le fait qu'Ottawa «cible la santé mondiale», étant donné que le Canada est un chef de file dans ce domaine depuis des décennies. Le Canada devrait «miser encore plus sur l'expertise du secteur et sur le leadership dont il a fait preuve», a-t-elle plaidé.

Kate Higgins, directrice générale de Coopération Canada, dont l'organisme représente plus de 100 organisations canadiennes sans but lucratif œuvrant à l'étranger, a déclaré que ces coupes budgétaires auront des conséquences désastreuses: des enfants n'iront pas à l'école, des familles seront confrontées à la faim chronique et des maladies resteront non traitées.

«Nous nous attendions à ce que le premier ministre Carney tienne la promesse qu'il a faite pendant la campagne électorale», a-t-elle affirmé.

Mme Higgins a indiqué que le secteur est parfaitement conscient des difficultés financières que rencontrent les Canadiens, mais a rappelé que la ministre des Affaires étrangères, Anita Anand, s'est engagée devant l'Assemblée générale des Nations unies à ce que le Canada ne se retire pas de son rôle international, car cela serait trop dangereux.

Coupes importantes pour le CRDI

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) subira des coupes budgétaires de plus en plus importantes, à commencer par 11,4 millions $ pour l'exercice financier débutant en avril, et jusqu'à 23,5 millions $ par année au terme de cinq ans.

Le Parlement a alloué 159,4 millions $ au CRDI pour l'exercice financier en cours.

Ces coupes surviennent quelques jours seulement après que Randeep Sarai, secrétaire d'État au Développement international, ait laissé entendre que l'institution disposerait d'un financement suffisant.

Le 28 octobre, devant le Comité permanent des affaires étrangères de la Chambre des communes, le député libéral Rob Oliphant, secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères Anita Anand, a interrogé M. Sarai au sujet du financement du CRDI dans ce budget.

M. Oliphant a qualifié le CRDI d'«institution de calibre mondial et de premier plan, qui mène des recherches permettant d'orienter notre aide de façon optimale».

Il a ajouté que les recherches de l'agence débouchent sur des projets qui contribuent à prévenir des crises humanitaires coûteuses. M. Sarai a acquiescé.

«Je l'appelle notre arme secrète. Je crois que le CRDI est l'un des meilleurs investissements du Canada», a soutenu M. Sarai. Il a cité l'exemple de l'agence qui a contribué à la création de «pommes de terre résistantes au climat aux Philippines», ce qui a permis aux populations rurales pauvres de nourrir leurs enfants et de les scolariser.

«Je pense qu'il continuera d'apporter le soutien nécessaire. C'est l'un des instituts les plus importants du Canada», a témoigné M. Sarai.

Le premier ministre Mark Carney se rendra au Sommet du G20 à Johannesburg plus tard ce mois-ci. Le gouvernement sud-africain devrait insister sur l'augmentation des dépenses et des prêts d'aide pour faire face à ce qu'il a qualifié cette semaine d'«urgence en matière d'inégalités» qui perturbe la démocratie et déstabilise les économies.