Le gouvernement du Québec a versé des indemnisations pour moins de 10 % des quelque 10 000 demandes qu'il avait reçues depuis le passage des vestiges de l'ouragan Debby en août, qui a causé de graves inondations et de nombreux dégâts.
Quatre mois après la tempête, un total de 10 076 réclamations ont été reçues. De ce nombre, Québec a effectué des paiements dans 720 dossiers, soit environ 7 %, principalement en Mauricie et dans Lanaudière, deux régions voisines sur la rive nord du Saint-Laurent.
À Montréal, où la tempête a déversé 150 millimètres de pluie en peu de temps, le gouvernement n’a remboursé que neuf des 1900 demandes d’indemnisation reçues, malgré une suggestion du premier ministre François Legault selon laquelle il élargirait l’accès à l’aide financière aux victimes des inondations.
Bien que certains dossiers soient toujours ouverts, de nombreux résidents qui ont subi des dommages s'élevant à des dizaines de milliers de dollars se sentent abandonnés par les autorités municipales et provinciales. Ils ont le sentiment que les différents ordres de gouvernement leur ont donné des raisons d’espérer de l’aide — pour ensuite leur faire comprendre qu’ils devraient se débrouiller tout seuls.
«La promesse du gouvernement d'élargir l'aide, c'était de la poudre aux yeux: en fait, ils ont juste joué avec les mots», a déclaré Isabelle Leblanc, une résidente de Terrebonne, en banlieue de Montréal, dont le sous-sol a été inondé, causant 45 000 $ de dommages.
La tempête a frappé le sud du Québec les 9 et 10 août, emportant des routes, privant d’électricité un demi-million de foyers et inondant des milliers de maisons. Dans de nombreuses régions, les sous-sols se sont remplis de plusieurs mètres d’eaux usées, après que les égouts ont été submergés, détruisant planchers, murs et meubles.
En septembre, le Bureau d’assurance du Canada a estimé que la tempête était l’événement météorologique le plus coûteux de l’histoire du Québec, surpassant la crise du verglas de 1998. Selon les premières estimations, les restes de l’ouragan Debby ont causé près de 2,5 milliards $ de dommages assurés.
Confusion
Après la tempête, le premier ministre Legault a laissé entendre que son gouvernement pourrait élargir temporairement un programme d’aide provincial qui vise à soutenir financièrement les victimes de catastrophes.
Le programme indemnise habituellement les sinistrés pour les dégâts causés par les débordements de lacs et de rivières, mais M. Legault a affirmé qu’il pourrait être élargi pour inclure les refoulements d’égouts. Les assurances privées couvrent généralement les refoulements d’égouts, mais de nombreuses personnes ont subi des dommages plus importants que ce que leur assurance pouvait couvrir.
«Pourquoi il y a eu un refoulement d’égouts? C’est parce qu’il y a eu une inondation», a souligné M. Legault lors d’une visite à Louiseville, en Mauricie, quelques jours après le passage de la tempête. «Donc, à un moment donné, il faut se servir du gros bon sens», avait évoqué le premier ministre, ouvrant la porte à mettre en place des programmes exceptionnels pour répondre à une situation exceptionnelle.
La nouvelle a fait des vagues au sein de plusieurs municipalités, qui ont transmis le message à leurs résidents. Cependant, dans les semaines qui ont suivi, il est devenu clair que les règles du programme n’avaient pas réellement changé.
À revoir : Debby: du jamais vu pour des propriétaires victimes d'inondations à Louiseville
La Sécurité publique assure avoir adopté une approche flexible pour évaluer les réclamations et souligne que les refoulements d’égouts causés par le débordement d’un cours d’eau à proximité peuvent être admissibles. Les propriétaires qui n’habitent pas près d’un cours d’eau, en revanche, n’ont pas de chance.
Le site Web du programme encourage les personnes qui ne sont pas certaines de leur admissibilité à soumettre une réclamation.
À Laval, une grande ville qui a été durement touchée par les pluies torrentielles, le gouvernement du Québec a versé des indemnités dans 21 réclamations sur plus de 2100. Dans la région qui comprend la Rive-Sud de Montréal, 39 réclamations sur plus de 1700 ont été réglées. Au total, le gouvernement du Québec a remboursé aux résidents environ 24 millions $.
Un porte-parole de la Sécurité publique a déclaré que ces chiffres sont préliminaires et que de nombreux dossiers sont toujours ouverts, en attente des pièces justificatives des demandeurs. Les propriétaires ont également un an pour déposer une réclamation. Et le nombre de réclamations réglées a augmenté au cours des dernières semaines, passant de 580 à la mi-novembre à 720 plus récemment.
Pas admissibles
Mais les demandes de nombreux résidents ont été sommairement rejetées. Isabelle Leblanc, à Terrebonne, a reçu une lettre à la mi-octobre lui indiquant qu'elle n'était pas admissible parce que l'inondation de son sous-sol avait été causée par un refoulement d'égout, qui devrait être couvert par une assurance privée. Son assurance était plafonnée à 20 000 $, couvrant moins de la moitié de ses pertes.
Janice Donnelly, une résidente de Dorval, dans l'ouest de l'île de Montréal, a déclaré avoir également subi 45 000 $ de dommages. Elle a passé des heures à rassembler tous les documents nécessaires pour soumettre une demande au gouvernement, pour finalement se faire dire que le programme n’était pas pour elle.
Mme Donnelly, âgée de 70 ans, a déclaré qu’elle avait dû puiser dans ses économies de retraite pour payer les réparations. «Je devrai mourir plus tôt», a-t-elle plaisanté.
D’autres victimes des inondations n’ont tout simplement pas pris la peine de soumettre une demande à Québec une fois qu’elles ont réalisé que les règles n’avaient pas changé. Sara Beaudet, une résidente de Laval, a déclaré qu’un employé du bureau de comté de son député lui avait dit après la tempête que le programme de catastrophe était en cours d’élargissement et qu’elle pourrait y être admissible. Lorsqu’elle lui a reparlé peu de temps après, il lui a appris que ce n’était plus le cas.
De nombreux propriétaires ont également soumis des demandes à leur municipalité, avec des résultats similaires. Cynthia Czaharyn, une résidente d’une autre banlieue de Montréal, a récemment reçu une lettre de sa Ville. «Ces pluies constituent un événement inattendu, imprévisible (…) hors du contrôle de la Ville et sont donc considérées comme un cas de force majeure», peut-on lire dans la lettre. «La Ville n’est donc pas responsable des dommages que vous pourriez avoir subis.»
La Ville de Montréal affirme avoir reçu plus de 4600 réclamations après la tempête d’août, mais n’a versé aucune indemnisation. «L’intensité de la pluie du 9 août était exceptionnelle et dépassait de loin les critères de conception des réseaux d’égouts, a écrit un porte-parole dans une déclaration. Aucun réseau n’est conçu pour capter de telles quantités de pluie en peu de temps.»
Dans sa mise à jour économique publiée en novembre, Québec a estimé que les dommages causés par Debby coûteraient 250 millions $ au gouvernement, dont 100 millions $ pour les particuliers et les entreprises par l’entremise du Programme général d’assistance financière lors de sinistres.
Nicolas Milot, directeur par intérim de la transition écologique à la Communauté métropolitaine de Montréal, qui représente 82 municipalités de la région métropolitaine, a déclaré que le programme provincial devrait être élargi pour inclure les refoulements d’égouts causés par le «ruissellement urbain».
Pour l’instant, plusieurs citoyens se sentent toutefois floués. Vanessa Lalonde, qui habite en banlieue ouest de Montréal, a découvert après la tempête que son assurance ne couvrait pas du tout les refoulements d’égouts. Puis, son conjoint a reçu un appel téléphonique lui annonçant qu’ils n’auraient pas droit à l’aide provinciale.
Ses enfants, dont la chambre est au sous-sol, ont dormi dans le salon pendant trois mois pendant qu’elle et son conjoint travaillaient aux réparations, petit à petit.
«Si (le gouvernement) n’avait rien dit, je n’aurais pas été indignée, dit-elle. Mais c’est qu’ils ont promis de l’aide qui n’est jamais venue.»

