Des discours masculinistes occupent de la place dans la sphère numérique, mais le phénomène s'installe aussi dans les salles de classe au Québec.
Des recherches menées par David Waddington et Tessa Maclean ont démontré que des enseignants et professeurs sont confrontés quotidiennement à ce type de question. «Avant, ces discours étaient plus marginaux», croit M. Waddington, chercheur de l'Université Concordia rencontré par Noovo Info lors de l'édition 2025 du congrès de l'Association francophone pour le savoir (Acfas). «Maintenant, ils sont plus populaires et ça surgit dans la salle de classe.»
Selon M. Waddington, les enseignants, les directions d’écoles, les syndicats et le gouvernement doivent travailler ensemble pour contrer et mieux sensibiliser les jeunes face à ces discours, car ceux-ci peuvent parfois être préoccupants et aller à l’encontre de certaines valeurs de la société.
«C’est important que les professeurs se rendent compte qu’ils ont le droit de prendre la parole contre ces discours», a indiqué M. Waddington en entrevue avec Noovo Info, admettant qu’il faut faire des «choix tactiques» et qu'il faut suivre le programme Culture et citoyenneté québécoise dans lequel les valeurs du Québec y sont abordées.

«Ce n’est pas toujours facile d’aborder ou d’adresser ces sujets avec les étudiants», a-t-il admis, en mentionnant qu’il peut y avoir des dérapages lors des discussions. «Mais, les profs ont une marge de manœuvre là-dessus et il ne faut pas qu’ils restent neutres sur la question.»
Même si le gouvernement du Québec vient de bannir les cellulaires dans les écoles – une mesure soutenue par les chercheurs interrogés par Noovo Info –, cela ne va toutefois pas freiner l'influence des discours masculinistes.
«Ça va avoir un effet positif, mais il sera plutôt minimal», a prevenu M. Waddington. «C’est vraiment en dehors de l’école que ça circule.»
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Pour Léa Clermont-Dion, qui a réalisé le film Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique avec Guylaine Maroist, il est temps d’agir. Celle-ci demande au gouvernement du Québec d’en faire une priorité nationale et de «punir» les GAFAM (Google, Apple, Facebook [Meta], Amazon et Microsoft) qui sont également un facteur dans l'équation.
«Il faut que le gouvernement investisse pour qu’on crée des programmes adaptés pour les jeunes sur ces enjeux et qu’on y fasse face dans les écoles», a-t-elle dit en entrevue à Noovo Info.
«Si les profs n’ont pas les outils nécessaires pour traiter ces questions-là, ils ne pourront pas le faire.»
Conseils pour les parents
Étant donné que les parents ont également un rôle à jouer dans ce contexte, les chercheurs conseillent aux parents d’entamer une discussion avec son enfant, «même si ce n’est pas facile».
«Il faut toujours avoir un œil ouvert et se demander quels discours intéressent ton enfant», a recommandé David Waddington de l'Université Concordia. «Si vous voyez que votre enfant est vraiment intéressé par les propos d’Andrew Tate, c’est une bonne idée d’échanger avec lui, d’avoir une conversation.»
«Il faut s’armer de patience et essayer d’avoir cette discussion», a ajouté Léa Clermont-Dion en entrevue.
Un mouvement «inquiétant»
Bien ce que les discours masculinistes ont toujours fait partie de la société, ils ont gagné du terrain particulièrement après la pandémie et avec l’influence d’Andrew Tate sur les réseaux sociaux dans la foulée du mouvement #MoiAussi. L'ancien kickboxeur devenu influenceur, qui fait face à des accusations liées à la traite d'êtres humains et à d'autres délits en Roumanie, compte des millions d'abonnés sur le réseau social X. Il reste une figure centrale de la manosphère.
Et, la réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis en a rajouté une couche. C’est ce qu’a constaté Léa Clermont-Dion. «Il y a eu un regain, une joie partagée chez les masculinismes» a-t-elle expliqué à Noovo Info. «Mais, ce n’est pas juste Trump, c’est mondial. Il y a une montée de la droite identitaire qui resonne avec des discours masculinistes. Elle est partout […] et chez nous aussi.»
Notons que documentaire Alphas du journaliste Simon Coutu explique l'ampleur du mouvement masculinise dans la province. Et les jeunes ne sont pas épargnés.
«On a une génération qui est en train d’être endoctrinée. Ce n’est pas acceptable. Il faut outiller les jeunes pour qu’ils soient bien à même de comprendre ce qu’ils voient.»
Selon un sondage Léger mené en 2023, 20% des jeunes Québécois considèrent que le féminisme est une tentative de contrôler le monde. Et ce sont 34% des jeunes Québécois qui adhèrent à une prise de position masculiniste, d'après l'étude menée par Diana Miconi en 2023. «C'est un constat extrêmement troublant», a fait savoir Mme Clermont-Dion lors du colloque à l'Acfas mardi.
Sur les réseaux sociaux, les jeunes suivent de plus en plus des influenceurs, qui prônent des discours «alphamâles». «On va cultiver notre corps et nos profits personnels. À côté de ça, on va revaloriser un monde où l'homme occupe son rôle traditionnel», a expliqué Mme Clermont-Dion. «Aussi, les femmes vont vraiment être reléguées au foyer.»
Selon des études scientifiques, le masculinisme cherche à inverser les progrès réalisés par le féminisme, en revendiquant des privilèges masculins et en prônant une vision du monde où les hommes doivent dominer les femmes.
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D’ailleurs, les chercheurs observent une augmentation de la violence en ligne, en lien avec le masculinisme.
Lors de son colloque à l'Acfas, Léa Clermont-Dion a rappelé que les cyberviolences peuvent s'illustrer de différentes manières: soit à travers des actes non criminels (par exemple: le body shaming, le slut shaming, le trolling, la cyberintimidation, le doxxing) ou soit à travers des actes criminels (par exemple: le cyberharcèlement, le conseil au suicide, l'exploitation sexuelle, l'incitation à la haine, le leurre, la sextorsion).
«Ces violences sont parfois mises de l’avant par des influenceurs issus de cette manosphère», a précisé la chercheuse, ajoutant qu’ils peuvent parfois les banaliser.
La faute aux GAFAM?
Selon le président de l'Acfas, Martin Maltais, cette tendance masculiniste est très inquiétante. «On est dans un contexte où la technologie est utilisée présentement pour abrutir les gens», a-t-il déploré en entrevue avec Noovo. «Ce n'est pas vrai qu'on a créé ces outils pour en arriver là. Si ça peut être utilisé pour ça, cela peut être utilisé à l'inverse.» Selon lui, il est temps de «collectivement» trouver des chemins pour «accroître le niveau de littératie scientifique, de la culture générale scientifique et de la compréhension commune des enjeux communs».
En 2023, la pétition Stop les cyberviolences avait été déposée par Guylaine Maroist et Léa Clermont-Dion dans la foulée du film Je vous salue salope pour demander au gouvernement fédéral de déposer son projet de loi visant à bannir le contenu haineux et violent en ligne. Cette pétition avait récolté des milliers de signatures.
«Mais, rien n'a vraiment été fait pour punir les GAFAM», a affirmé Léa Clermont-Dion. «Si on laisse les violences perpétrées sur nos plateformes, on a la responsabilité d'être imputable. [...] Les GAFAM à l'heure actuelle se déresponsabilisent des violences et amplifient les violences.»
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Selon la chercheuse et cinéaste, le gouvernement doit «affirmer leur pouvoir» et agir en conséquence «pour que ça soit fait autrement».
D'ailleurs, cet enjeu [du masculinisme] sera notamment abordé dans la campagne On s'écoute , qui sera lancée à l'hiver 2026 et qui vise à prévenir les violences à caractère sexuel dans les cégeps et universités, a confirmé Léa Clermont-Dion à Noovo Info.
Le gouvernement du Canada se livre actuellement dans une bataille contre les géants numériques (GAFAM) depuis plusieurs années déjà, ce qui avait également entraîné le blocage des nouvelles par Meta au pays en 2023. Pour Léa Clermont-Dion, cela contribue à la désinformation et à la propagation des discours masculinistes sur les réseaux sociaux.
Avec des informations de La Presse canadienne et The Associated Press

