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L'année scolaire a commencé sur une note familière pour le Québec: des milliers de postes d'enseignants n'ont pas été pourvus et le gouvernement provincial a dû se défendre de son incapacité à résoudre le problème.
Alors que les politiciens continuent de pointer du doigt l'immigration comme principale cause, une justification courante pour les problèmes de la province, les experts en éducation affirment que les nouveaux arrivants ne sont pas la cause sous-jacente de la pénurie généralisée d'enseignants.
Le premier ministre du Québec, François Legault, a affirmé aux journalistes la semaine dernière que le nombre d'enfants qui ont besoin d'un enseignant est en hausse en raison de l'augmentation du nombre d'immigrants. Il a aussi mentionné les conditions de travail et les salaires comme d'autres facteurs qui influencent le manque de personnel dans le système d'éducation.
À la mi-août, le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, a déclaré qu'il y avait 20 000 élèves de plus inscrits que l'année dernière, dont environ 80 % sont de nouveaux arrivants dans la province. Avec environ 5700 postes d'enseignants non pourvus, il a appelé à ce que le gouvernement fédéral «reprenne le contrôle du processus d’immigration pour diminuer l’immigration temporaire sur le territoire québécois, notamment les demandeurs d’asile». Les statistiques de la semaine dernière montraient que 1957 postes d'enseignants n'étaient pas encore pourvus dans le système d'éducation.
Les calculs de M. Drainville ne tiennent cependant pas la route, estime Diane Querrien, professeure au département d'études françaises de l'Université Concordia.
«Même si on part du pire scénario, c'est-à-dire que les 20 000 élèves de plus sont tous des immigrants, ça n'a pas de sens», a déclaré Mme Querrien. Elle explique que diviser ce chiffre par les quelque 5700 postes non pourvus équivaudrait à embaucher un enseignant pour des groupes de trois à quatre élèves seulement.
La Presse Canadienne a demandé des précisions au ministère de l'Éducation, mais il n'a pas répondu.
L'immigration, a ajouté Mme Querrien, n'explique pas pourquoi certaines régions périphériques, qui accueillent moins d'immigrants que les grandes villes, manquent aussi d'enseignants, et ce depuis des années.
Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l'enseignement, a affirmé qu'il est vrai qu'une augmentation du nombre d'enfants immigrants nécessite plus de personnel dans les écoles francophones. Le Québec n’a cependant pas fait grand-chose pour remplacer la génération d’enseignants qui partent à la retraite, a-t-elle déploré.
«Tant que nous aurons beaucoup de gens qui partent à la retraite et que moins de gens sortiront de l’université, nous serons forcément confrontés à une pénurie d’enseignants. C’est quelque chose que nous aurions pu prévoir», a-t-elle déclaré.
«Peut-être que nous ne serions pas dans la situation actuelle et que nous serions en mesure d’absorber le nombre d’élèves qui arrivent de familles immigrantes.»
La pénurie d’enseignants se fait également sentir dans les écoles anglophones de la province, bien que les lois en matière de défense de la langue française obligent la grande majorité des immigrants à inscrire leurs enfants dans le système francophone.
Steven Le Sueur, président de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, a affirmé que l’augmentation du nombre d’étudiants immigrants a eu un impact minime sur les écoles anglophones du Québec, qui sont pourtant toujours à la recherche d’enseignants qualifiés. Vendredi, M. Le Sueur a indiqué que 200 postes étaient vacants.
Les mauvaises conditions de travail et les bas salaires des deux dernières décennies ont fait en sorte que moins de personnes s’inscrivent aux programmes d’enseignement et que de nombreux éducateurs jettent l’éponge peu de temps après leur entrée dans le système. «Nous perdons 25 % de nos nouveaux enseignants au cours des cinq premières années, il faut remédier à ce problème», a déclaré M. Le Sueur.
La professeure de l’Université de Sherbrooke Philippa Parks, qui étudie les raisons pour lesquelles les enseignants quittent la profession, pense que l’estimation de 25 % de M. Le Sueur est assez conservatrice; elle a affirmé que les statistiques varient, mais que ce chiffre pourrait atteindre les 50 %.
L’immigration est «une goutte d’eau dans l’océan», a soutenu Mme Parks. «Je pense que c'est un peu du sous-discours et de la malhonnêteté, car ce n'est que l'un des nombreux facteurs.»
La raison principale, a-t-elle déclaré, est que les enseignants ne reçoivent pas le soutien et la formation nécessaires en classe, surtout après les réformes qui ont amené les élèves ayant des troubles d’apprentissage et physiques, qui étaient auparavant éduqués séparément, dans les mêmes classes que les autres enfants.
L’autre problème, selon Mme Parks, c’est que l’enseignement n’est plus la profession de classe moyenne avec le statut qu’elle avait autrefois. «J’ai commencé à enseigner en 1998 et j’ai pu acheter une maison. J’ai même pu verser un acompte avec mon salaire d’enseignante et maintenant les choses ont radicalement changé.»
Malgré les récentes augmentations de salaire – 17,4 % sur cinq ans – qui sont arrivées après que des milliers d’enseignants se soient mis en grève dans la province l’année dernière, M. Le Sueur et Mme Parks affirment qu’il faudra du temps pour attirer plus d’enseignants vers la profession et qu’il faut faire davantage pour faciliter la vie quotidienne des éducateurs.
Selon François Rocher, professeur émérite à l’Université d’Ottawa et chercheur sur l’immigration et le nationalisme québécois, la pénurie actuelle d’enseignants n’est «qu’un autre exemple de la façon dont la CAQ a abordé la question de l’immigration».
«L’immigration a été nommée comme cause de nombreux autres "problèmes" que nous avons constaté au Québec», a-t-il noté, ajoutant que la CAQ a également imputé aux immigrants la crise du logement, le déclin de l’utilisation du français au Québec et l’augmentation de la demande de services de santé.