Après une semaine sans enseignement de la part des médecins spécialistes, les étudiants en médecine des quatre facultés du Québec ont manifesté mardi après-midi à Montréal. Ces derniers pourraient être désavantagés par rapport aux étudiants des autres provinces canadiennes lors du jumelage des résidents.
Une étape cruciale pour les diplômés en médecine est de choisir leur spécialité. Une fois leur choix fait, ils commencent le processus du Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) qui se déroule une fois par année. Ils doivent d'abord soumettre leur dossier de candidature, une étape qui est en cours à l'heure actuelle, puis des entrevues ont lieu en janvier et février.
Il y a ensuite un processus de classement et les étudiants ont finalement leur réponse en mars. S'ils n'obtiennent pas leur premier choix, il y a un deuxième tour qui leur laisse une chance d'être acceptés dans leur deuxième spécialité favorite.
Les finissants en médecine sont actuellement les plus touchés par les moyens de pression de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), qui a décidé d'arrêter les tâches reliées à l'enseignement. Les médecins de famille ont d'ailleurs emboîté le pas aux spécialistes; l'enseignement aux étudiants sera suspendu à partir du 1er octobre, a-t-on fait savoir, mais pas aux résidents.
Félicia Harvey, vice-présidente de la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ), anticipait des impacts encore plus grands avec la participation des médecins de famille. «C'est sûr que les étudiants sont inquiets de ce vote-là», a commenté Mme Harvey, en entrevue avant le vote de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).
«Pour le moment, les étudiants ont l'impression qu'ils seront grandement désavantagés comparés aux étudiants des autres provinces, qui eux, auront eu un cursus normal», ajoute-t-elle. Les universités et les associations canadiennes sont en discussion, dit-elle, pour trouver des solutions.
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Les étudiants comptent également sur leurs derniers stages pour se décider entre les différentes spécialités qui s'offrent à eux et aussi pour obtenir des lettres de recommandations des médecins qu'ils croisent durant leurs stages. «Face à ça, ils ont une crainte d'avoir un dossier moins compétitif que les étudiants du reste du Canada», explique Mme Harvey.
Elle rappelle qu'il y a des critères d'admissibilité au processus du CaRMS, notamment d'avoir obtenu son diplôme et d'avoir terminé tous ses stages. «Plus la grève continue, plus on s'inquiète de l'impact sur l'entrée à la résidence pour les étudiants», mentionne la vice-présidente de la FMEQ.
Le bureau du ministre de la Santé, Christian Dubé, a affirmé que ce moyen de pression de la FMOQ est «grave pour la relève et pour les patients».
«Nous faisons notre bout de chemin pour trouver une voie de passage, mais les fédérations médicales doivent aussi faire le leur et revenir aux tables en mode constructif», a-t-on ajouté dans une déclaration écrite.
La parole aux étudiants
Des étudiants des quatre facultés du Québec se sont mobilisés mardi après-midi, en face de l'Université McGill, pour se faire entendre.
Maxime Cinqmars, qui en est à sa première année de stage en externat, aimerait que le gouvernement et les fédérations médicales «trouvent une manière de s'entendre rapidement» pour ne pas que ça mette en jeu sa formation.
«On veut aussi remettre les pendules à l'heure et exposer les vrais problèmes du système, dit-il sur place. Par exemple, le fait que les salles d'opération sont souvent coupées pour les chirurgiens parce qu'il n'y a pas [de personnel]. Tandis que le gouvernement dit qu'ils sont paresseux, qu'ils ne travaillent pas assez, mais dans le fond, ils n'ont pas les ressources pour opérer.»
M. Cinqmars en a été témoin pendant son stage en chirurgie. «J'ai fait ça pendant trois semaines, puis j'ai vu à plusieurs reprises des salles d'opération qui étaient annulées parce qu'il n'y avait pas de [personnel]», raconte-t-il.
Jonathan Savard, qui étudie à l'Université de Sherbrooke, explique comment ça se passe pour la formation préclinique, c'est-à-dire les cours plus théoriques. À son université, les étudiants ont habituellement des discussions en petit groupe de neuf personnes avec un médecin. Mais avec le grève de l'enseignement, les étudiants doivent s'autoenseigner.
La qualité de l'enseignement est moindre, selon l'étudiant. Si c'était aussi simple d'apprendre sans professeur, tout le monde pourrait apprendre la médecine en ligne en lisant seulement des références scientifiques, lance-t-il au milieu des manifestants.
«Ça ne fonctionne pas comme ça. Il y a de l'intégration clinique à faire, il y a des discussions à y avoir, il y a de l'enseignement qui doit être fait. On doit savoir si on est sur la mauvaise voie et si on doit se ré-enligner vers la bonne piste. Et pour ça, il faut un médecin qui nous enseigne», déplore M. Savard.
Pas de médecins résidents, moins de soins aux patients
M. Savard a une pensée pour ses camarades en quatrième année à l'externat pour qui la graduation est menacée d'être reportée. «Ce sont des gens qui pourraient ne pas entrer en résidence, et les médecins résidents donnent des soins aux patients au quotidien dans tous les établissements du Québec», fait valoir Jonathan Savard, qui est par ailleurs secrétaire générale de la FMEQ.
Il est épuisé d'entendre uniquement parler de question de rémunération. «Je ne suis pas entré en médecine pour l'argent ou pour le prestige. Je suis entré en médecine parce que je voulais donner des soins humains aux patients, parce que je voulais avoir le temps avec mes patients», dit-il.
«En ce moment, c'est sûr que c'est démotivant pour les étudiants quand ils voient les conditions de pratique qui les attendent peut-être. Je pense que c'est important de négocier de bonne foi avec les fédérations médicales, pas seulement pour les conditions de travail des médecins qui sont un enjeu légitime, un enjeu qui doit être discuté, mais aussi pour la qualité des soins que les médecines vont pouvoir offrir aux patients.»
Une des inquiétudes des étudiants est de ne pouvoir rattraper les stages manqués alors que les milieux de stages sont déjà saturés. «Les médecins qui supervisent ont déjà un nombre maximal d'étudiants. On voit mal comment on pourrait rajouter une cohorte entière par la suite pour reprendre ces stages», indique Mme Harvey.
Les stages de six semaines ont désormais été invalidés, ce qui pourrait retarder l'entrée sur le marché du travail d'environ 1000 nouveaux médecins dès l'année prochaine.
Après avoir discuté toutes ensemble, les deux fédérations de médecin, la FMEQ ainsi que la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) ont annoncé mardi qu'ils ont convenu de demander d’une seule voix le retrait du projet de loi 106 — qui vise à lier une partie de la rémunération des médecins à des indicateurs de performance.
«Pour l'adoption du projet de loi 106, la FMEQ, on est allé en commission parlementaire au printemps dernier et comme la majorité des acteurs, on déplorait que ce projet de loi n'apportait pas une réelle solution aux problèmes du système de santé. Si le gouvernement décide d'être fermé, de ne pas écouter les craintes et les revendications des fédérations médicales, il faudra s'attendre à des conséquences sur le système de santé», dit-elle.

