Le Conseil des Abénakis d’Odanak et le Conseil des Abénakis de W8linak ont publié vendredi matin un rapport généalogique exhaustif qui contredit les prétentions identitaires de plusieurs personnes qui se présentent comme «chefs de tribus» abénakises au Vermont et au New Hampshire.
Depuis plusieurs années, les Abénakis d’Odanak et de W8linak, des communautés situées dans la région du Centre-du-Québec, dénoncent des groupes américains qui prétendent être autochtones.
Le rapport présenté aux médias vendredi matin conclut que ceux qui prétendent être chefs de «tribus» abénakises au Vermont et au New Hampshire «n’ont aucune ascendance abénakise».
Par exemple, les ancêtres de la chef de la Nation abénakise de Missisquoi, Brenda Gagne, sont à 99,9 % européens, selon l’étude.
«Les exceptions à son ascendance européenne sont deux femmes algonquines, Marie Sylvestre (née vers 1620) et Marie Mitewamigoukwe (née en 1631), qui ont toutes deux des millions de descendants à ce jour. Nos conclusions confirment que Brenda Gagne, soi-disant chef de la nation abénakise de Missisquoi, est une femme blanche qui n'a aucun droit de revendiquer son appartenance à la Nation abénakise», peut-on lire dans l’étude.
Les ancêtres du chef de la bande traditionnel Ko'asek, Paul Bunnell, sont à 99,9 % européens, ceux de Donald Stevens, chef de la nation Coosuk, sont à 96,9 % européens et ceux de Shirly Hook, de la Nation Koas Abénakis, sont à 99,9 % européens, selon le rapport.
«Avoir un ancêtre autochtone qui a vécu il y a 300 ou 400 ans ne fait pas d'une personne un membre d’une Première Nation.»
«Les gens de notre peuple ont vécu et sont morts sur cette terre depuis longtemps, au Vermont, au Maine, au New Hampshire. C'était notre territoire. Nos ancêtres restent encore là aujourd'hui. Donc c'est pourquoi cette lutte est si importante. Le raisonnement est qu’aucun gouvernement et aucun pays n’a le droit de nous dire qui fait partie de notre nation. Nous gardons ce droit pour nous-mêmes. C'est notre droit ancestral.»
Reconnus par le Vermont
Les quatre chefs visés par l’étude sont à la tête de quatre «tribus» qui ont été officiellement reconnues par le Vermont en 2011 et 2012.
«On fait beaucoup de lobbies pour que l'État du Vermont revienne sur cette décision-là», a expliqué Jacques T. Watso, conseiller au Conseil des Abénakis d’Odanak.
«Ce rapport confirme ce que les Abénakis d’Odanak et de W8linak répètent depuis des années: ces groupes ne sont pas autochtones. Il est temps que les gouvernements, les institutions et le grand public reconnaissent cette réalité et cessent de légitimer une appropriation identitaire et culturelle qui porte directement atteinte à notre peuple», a ajouté Jacques T. Watso.
«Ils nous effacent et nous remplacent»
M. Watso a expliqué, lors de la conférence de presse, qu’il y a eu «un mouvement d’accueil» entre les années 1970 et 1990 à Odanak.
Des personnes de «bonne foi» visitaient la communauté pour en apprendre davantage sur sa culture.
«Nous étions accueillants et puis c'était notre devoir de transmettre notre culture à des gens qui voulaient l'apprendre», a-t-il dit.
Certains de ces visiteurs s’auto-identifiaient autochtones, «sans valider ou vérifier» et sans être capables de prouver leur appartenance.
D’après Jacques T. Watso, une partie de ces visiteurs qui apprenaient la culture des Abénakis n’avaient aucune mauvaise intention, mais d’autres se seraient éventuellement identifiés autochtones «pour en tirer des bénéfices», comme des subventions ou du prestige.
«Ils sont disparus d’Odanak, mais ils sont partis avec nos chants, notre danse, notre culture et, maintenant, ils réécrivent notre propre histoire, ils nous effacent et nous remplacent», a-t-il dénoncé en conférence de presse.
Il a ajouté que les Autochtones se reconnaissent en se posant les questions suivantes: «Qui es-tu? D'où viens-tu? Qui te réclame? Alors, sur ces principes-là, ces groupes ont refusé, dans les 20 dernières années, de prouver leur lignée.»
«Ils ne peuvent en aucun point justifier une appartenance à l'identité autochtone, encore moins abénakise. Mais ils sont au courant, puis ils savent qu'on les talonne.»
Les chefs persistent et signent
Dans un échange avec La Presse Canadienne, Donald Stevens, identifié comme le chef de la nation Coosuk, a accusé le professeur Darryl Leroux, à la tête de l'étude, de ne pas être un «généalogiste certifié» et a indiqué qu'il n'avait «pas à prouver» qu'il était Abénakis.
«De nombreux Autochtones ont été répertoriés comme "blancs" ou "de couleur" dans les données du recensement sur la base des observations du recenseur ou pour s’intégrer. De nombreuses familles des registres de recensement et des actes de naissance d’Odanak indiquent également "blanc", ce qui ne prouve rien», a -t-il écrit.
Paul Bunnel, identifié comme le chef traditionnel de la bande Ko'asek, s'en est également pris au chercheur de l'Université d'Ottawa.
«Ce sont de vieux mensonges pour tenter de discréditer les Autochtones de l'Est. Darryl Leroux est un agent de la tribu d'Odanak, qui prétend être la seule tribu abénaquise, alors qu'en réalité, comme nous tous, elle compte des Abénaquis, des Micmacs, des Hurons et des Algonquins, des Français, des Irlandais, des Anglais et probablement de nombreux autres mélanges (Métis) qui se sont fondus dans ce camp de réfugiés d'Odanak au fil des siècles grâce aux Français qui l'ont protégé», a écrit Paul Bunnel dans un courriel transmis à La Presse Canadienne.
De son côté, Brenda Gagne a indiqué qu’elle publiera une déclaration écrite en début de semaine prochaine.
Plus de 10 000 documents étudiés
Darryl Leroux, chercheur principal de l'étude et professeur associé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, a assuré, lors de la conférence de presse, que le groupe de chercheurs qu'il a dirigé a utilisé une méthodologie rigoureuse.
«Nous avons consulté environ 10 000 documents, notamment des archives canadiennes et américaines, des bases de données universitaires et des sources généalogiques reconnues datant des années 1600 à 2000», a-t-il expliqué.
«Chaque lignée a été contextualisée, vérifiée et documentée. Ce travail a nécessité plusieurs centaines d'heures de travail minutieux de la part de plusieurs chercheurs. Les résultats sont clairs, ces personnes n’ont aucune ascendance abénakise», a ajouté le professeur Leroux.
Les conséquences de ce que le Conseil des Abénakis d’Odanak et le Conseil des Abénakis de W8linak qualifient de «fraude identitaire» sont majeures, selon les Abénakis.
«La reconnaissance et le soutien accordés à ces groupes renforcent des logiques coloniales en détournant des ressources, des opportunités et des droits qui devraient revenir aux véritables communautés abénakises», peut-on lire dans un communiqué publié par les deux conseils vendredi.
