Les sénateurs ont adopté d'importantes modifications à un projet de loi visant à simplifier la transmission du statut de membre des Premières Nations entre les générations, rejetant ainsi la recommandation du gouvernement fédéral de limiter sa portée.
Le projet de loi S-2, présenté au Sénat avec le soutien du gouvernement libéral, a été rédigé dans le but d'éliminer certaines inégalités entre les sexes dans la Loi sur les Indiens et de permettre à quelque 6000 personnes d'être admissibles au statut de membre des Premières Nations.
Certains sénateurs et dirigeants communautaires autochtones ont jugé que le projet de loi n'allait pas assez loin.
Mardi, les sénateurs ont modifié la législation afin d'éliminer ce que l'on appelle la «règle de coupure à la deuxième génération», optant plutôt pour une règle du parent unique qui permettrait de transférer le statut de membre des Premières Nations à un enfant si l'un de ses parents est inscrit.
La règle de coupure à la deuxième génération, qui découle d'un amendement apporté à la Loi sur les Indiens en 1985, empêche les personnes dont un parent ou un grand-parent n'avait pas le statut d'Indien de s'inscrire en tant que telles en vertu de la Loi sur les Indiens.
Certains chefs des Premières Nations ont affirmé que la clause d'exclusion de la deuxième génération pourrait priver leurs communautés de membres reconnus par le gouvernement fédéral dans la prochaine génération, éliminant ainsi leurs droits en tant que peuple distinct.
Le sénateur Paul Prosper, ancien chef régional de l'Assemblée des Premières Nations pour Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse, a présenté les modifications au projet de loi. Il a déclaré mercredi à La Presse Canadienne que le projet de loi S-2 visait à répondre aux préoccupations soulevées depuis des décennies concernant la Loi sur les Indiens.
«J'espère sincèrement que la Chambre des communes et la ministre des Services aux Autochtones, Mandy Gull-Masty, tiendront compte des éléments de preuve présentés au Sénat. Ces éléments ont été très largement favorables à la suppression de la limite de deux générations», a-t-il affirmé.
«Il s'agit d'un élément crucial pour la survie des Premières Nations, qui témoigne de la relation particulière qu'elles entretiennent avec le gouvernement fédéral. Nous avons fait notre travail de diligence raisonnable en tant que sénateurs. Le projet de loi pourrait être transmis à la Chambre des communes en quelques semaines», a ajouté M. Prosper.
Le projet de loi ne deviendra loi qu'après avoir été adopté par la Chambre des communes.
Le député libéral mi'kmaq Jaime Battiste, membre du comité permanent de la Chambre des communes sur les questions autochtones, avait mis en garde les sénateurs contre les modifications qu'ils ont apportées mardi à la législation.
Il avait indiqué à La Presse Canadienne en octobre que les sénateurs ne devraient pas prendre cette mesure sans consulter au préalable les Premières Nations.
«Ce n'est pas quelque chose que nous devrions précipiter. Ajouter un amendement pourrait entraîner des répercussions sur des générations d'Indiens inscrits des Premières Nations», avait déclaré M. Battiste.
Il a réitéré cet avertissement mercredi, affirmant que c'est à la Chambre des communes que ces discussions devraient avoir lieu.
«Ce que nous devrions vraiment faire, c'est discuter pour obtenir l'adhésion de la communauté des Premières Nations, et, pour autant que je sache, il n'y a pas de résolution (de l'Assemblée des Premières Nations) qui le demande», a souligné M. Battiste.
La grande majorité des chefs, des dirigeants des conseils tribaux et des groupes de défense qui ont comparu devant le comité sénatorial chargé d'étudier le projet de loi S-2 se sont prononcés en faveur de la suppression de la limite de deuxième génération.
M. Prosper a contesté les propos de M. Battiste. «Nous avons l’obligation constitutionnelle d’examiner et d’adopter des lois, soit par voie de projet de loi du Sénat, soit par voie d’amendement à un projet de loi de la Chambre des communes. Il est du ressort du Sénat de faire ce que nous venons de faire en adoptant ces amendements», a-t-il souligné.
Dans une déclaration transmise à La Presse Canadienne, Mme Gull-Masty a affirmé que la règle de coupure à la deuxième génération est une «question cruciale et profondément personnelle qui doit être traitée de manière appropriée».
Elle a ajouté que son gouvernement travaille «en étroite collaboration» avec les Premières Nations sur cette question et que les consultations se poursuivront l’année prochaine.
«Une avancée positive»
Les modifications apportées au projet de loi au Sénat ont laissé certaines Premières Nations dans l'incertitude quant aux changements éventuels apportés à leurs politiques d'inscription.
Dans un message publié mercredi sur les réseaux sociaux, Miawpukek Mi'kamawey Mawi'omi, également connue sous le nom de Première Nation Miawpukek, a informé ses membres qu'il n'y avait pas de nouvelles conditions d'admissibilité dans la loi.
«Il s'agit d'une avancée positive pour l'avenir de nos membres, et nous remercions tout le monde pour leur patience et leur compréhension alors que nous traversons ensemble ce processus», a-t-elle indiqué.
Bien que les chefs et les membres des Premières Nations réclament depuis longtemps des modifications aux critères d'admissibilité, certains s'inquiètent des changements potentiels.
Le chef de la Première Nation des Chippewas de la Thames, Joe Miskokomon, a déclaré à La Presse Canadienne que les Premières Nations sont déjà confrontées à des difficultés financières et qu'un afflux de nouveaux membres pourrait compliquer la planification de l'avenir.
«Si nous ignorons la croissance démographique, comment calculer la capacité de nos conduites d'eau et le nombre de logements nécessaires?», se questionne-t-il.
«Les répercussions sont importantes. Le gouvernement libéral a réduit le budget des affaires autochtones de 2,3 milliards $, et maintenant, il parle d'augmenter la taille de la population des Premières Nations. Comment justifier cela?»
Dans une publication sur les réseaux sociaux, la cheffe nationale de l'Assemblée des Premières Nations, Cindy Woodhouse Nepinak, a affirmé que les Premières Nations savent qui appartient à leurs communautés et qu'«il est temps que le Canada trouve une autre voie et respecte la citoyenneté et la souveraineté des Premières Nations sur leur population, leurs membres et leurs peuples».

