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Juge canadienne sanctionnée par Trump: Ottawa critiqué pour son silence

«Si nous ne faisons rien à ce sujet maintenant [...] nous normaliserons le recours à des sanctions coercitives.»

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Cette image montre Kimberly Prost, à gauche, sur une photo non datée, et une vue de la Cour pénale internationale, à droite, à La Haye, aux Pays-Bas, le mercredi 12 mars 2025. Cette image montre Kimberly Prost, à gauche, sur une photo non datée, et une vue de la Cour pénale internationale, à droite, à La Haye, aux Pays-Bas, le mercredi 12 mars 2025. (Montage avec des images fournies par Cour pénale internationale et AP)

Les défenseurs du droit international affirment qu'Ottawa laisse Washington saper l'ordre mondial fondé sur des règles en restant silencieux une semaine après les sanctions américaines contre une juge canadienne.

Le 20 août, l'administration du président américain Donald Trump a imposé des sanctions à Kimberly Prost, une juge de la Cour pénale internationale (CPI) qui a autorisé une enquête sur le personnel américain en Afghanistan.

Mme Prost, citoyenne canadienne qui a grandi à Winnipeg, verra tous ses avoirs américains gelés et pourrait avoir des difficultés à accéder aux services financiers au Canada.

Le département d'État américain a également sanctionné des citoyens français, fidjiens et sénégalais pour leur rôle dans l'enquête de la CPI sur les actions d'Israël à Gaza et en Cisjordanie.

Le gouvernement français s'est dit «consterné» par cette décision, qu'il a qualifiée d'attaque contre la Cour et tous ses membres, contraire au principe d'indépendance du système judiciaire.

Ottawa n'a fait aucune déclaration publique à ce sujet à ce jour. Le bureau du ministre de la Justice, Sean Fraser, a renvoyé les questions à Affaires mondiales Canada, qui n'a pas fait de déclaration.

Selon certains défenseurs, le Canada compromet son héritage en tant que cofondateur de la CPI afin d'apaiser Trump.

«Il s'agit de savoir si nous pensons que nous devons nous opposer aux sanctions contre les personnes qui tentent de traduire en justice les criminels de guerre, ou si nous devons rester silencieux et ne rien faire», a indiqué Mark Kersten, professeur à l'Université de Fraser Valley spécialisé dans la CPI.

Lorsque Washington a annoncé les sanctions, il a affirmé que la CPI constituait «une menace pour la sécurité nationale qui a servi d'instrument de guerre juridique contre les États-Unis et notre proche allié Israël».

Aucun de ces deux pays n'est membre de la cour internationale.

Selon M. Kersten, cette décision n'était «pas du tout surprenante», car les proches de Trump avaient menacé les juges de la CPI en novembre 2024 et qu'il avait signé un décret visant le tribunal international en février.

Il a ajouté que la perspective de sanctions de la part de Trump avait «dominé nos conversations» en décembre dernier lors de la grande conférence de la cour à La Haye, à laquelle ont participé des membres du personnel de Affaires mondiales Canada.

M. Kersten a déclaré que M. Prost pourrait rencontrer des difficultés pour travailler avec les banques et les compagnies aériennes canadiennes, qui pourraient être réticentes à fournir des services à une personne soumise à des sanctions américaines, étant donné que la plupart d'entre elles font des affaires aux États-Unis.

Il a indiqué qu'Ottawa devrait promulguer une loi de blocage en vertu de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, qui interdit aux entreprises canadiennes d'appliquer ce que le ministère de la Justice qualifie d'« assertions extraterritoriales inacceptables de la juridiction étrangère » et autorise les poursuites judiciaires contre ceux qui coopèrent avec des sanctions étrangères injustes.

Ottawa a utilisé cette loi dans les années 1990 pour empêcher les sanctions américaines contre Cuba de nuire aux entreprises canadiennes, et l'Union européenne a entrepris un processus très similaire.

«C'est en fait une étape cruciale dans ce qui doit être fait si le Canada ne parvient pas à faire lever les sanctions qui lui sont imposées», a ajouté M. Kersten.

L'ancien ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy a affirmé que le gouvernement Carney «abandonnait» la cour internationale qu'il avait contribué à fonder et ne soutenait que de manière conditionnelle l'ordre fondé sur des règles dont il parle constamment.

M. Axworthy a souligné qu'il était clair que le Canada essayait d'apaiser Trump dans les négociations commerciales au lieu de défendre le droit international alors que Washington tente de contraindre et d'intimider les institutions multilatérales.

«Ignorer quelqu'un qui attaque l'un de vos propres juges au sein d'une institution internationale (alors que) vous savez que cela a un effet préjudiciable — je ne sais pas si le silence était simplement une omission ou s'il était délibéré.»
- Lloyd Axworthy

L'ancien ministre libéral a présenté le projet de loi qui, en 2000, a fait du Canada le premier pays à transposer le traité fondateur de la CPI dans son droit interne. Selon lui, le Canada risquait de passer du statut d'«architecte et de gardien» de l'ordre international fondé sur des règles à celui d'«une sorte de mercantilisme» s'il ne défendait pas ses principes fondamentaux.

«Nous avons un gouvernement qui a reçu un mandat très fort de la part des Canadiens, et je pense qu'il devrait l'utiliser non seulement dans les négociations avec Washington, mais aussi pour élargir son champ d'action et veiller à ce que les autres institutions importantes pour les Canadiens soient maintenues», a-t-il dit.

M. Axworthy s'est également demandé si la ministre des Affaires étrangères, Anita Anand, avait soulevé la question lorsqu'elle a rencontré le secrétaire d'État américain Marco Rubio le lendemain de l'annonce des sanctions, car aucun des deux pays n'a fait allusion à ce sujet dans son communiqué.

Le silence d'Ottawa indique aux responsables canadiens qu'ils ne seront pas défendus s'ils s'engagent dans des tâches politiquement sensibles, a-t-il précisé, ce qui sape le moral et la réputation du Canada à l'échelle mondiale.

Il a ajouté que le Canada devrait collaborer avec d'autres pays afin de « redynamiser le soutien à certaines de ces institutions qui existent toujours, mais qui vacillent sous le poids de ce type d'attaques », notamment les institutions que Washington a cessé de financer ou qu'il attaque et qui se concentrent sur la justice, le changement climatique et le développement.

«Je ne pense pas que nous mettions à profit nos atouts diplomatiques pour protéger les institutions qui elles-mêmes protègent les personnes», a dit M. Axworthy.

M. Kersten a rappelé que lorsque la première administration Trump a sanctionné deux hauts responsables africains de la CPI en 2020, le Canada a publié une déclaration publique indiquant que, d'une manière générale, le personnel de la CPI ne devrait pas être sanctionné.

Selon M. Kersten, le silence du Canada après la sanction d'un de ses propres citoyens constituait «un échec de la politique étrangère».

«Il me semble que [...] défendre nos principes et protéger ouvertement nos citoyens contre des sanctions flagrantes vaut la peine d'être sacrifié sur l'autel de l'apaisement de Donald Trump, à un moment où nous négocions avec lui», a-t-il dit. «Si nous ne faisons rien à ce sujet maintenant, cela ne concernera pas seulement la CPI. Nous normaliserons le recours à des sanctions coercitives, non seulement contre nos citoyens, mais aussi contre des personnes qui n'ont absolument rien fait de mal et qui se sont consacrées.»

Dylan Robertson

Dylan Robertson

Journaliste