Ajourné le 9 juillet dernier, le procès civil visant Gilbert Rozon - qui est accusé notamment d'agressions sexuelles - a repris lundi au palais de justice de Montréal alors que des experts venaient témoigner concernant des questions constitutionnelles.
Gilbert Rozon conteste deux articles du Code civil du Québec, soit celui touchant aux mythes et stéréotypes (article 2858.1) et celui sur le délai de prescription civil (article 2926.1), aboli en 2020 - sans ce changement, Gilbert Rozon n’aurait pas pu être poursuivi par certaines des demanderesses.
La première experte appelée à la barre des témoins par le Procureur général du Québec était la Dre Karine Baril, experte et chercheuse reconnue dans le domaine des violences à caractère sexuel. Dre Baril a notamment mené une vaste enquête québécoise sur le sujet des mythes et stéréotypes qui a mené à la réalisation d'un rapport sur le niveau d'adhésion des mythes et préjugés. Les données préliminaires ont été diffusées début juin.
Son rapport d'expertise - dont Noovo Info a obtenu copie - s'intitule précisément : «Les conséquences psychologiques des violences sexuelles comme entrave à la capacité des victimes d’agir dans le contexte de démarches légales».
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Dans son rapport, la Dre Baril explique notamment que «le dévoilement de la violence sexuelle est un processus complexe et graduel, souvent retardé, voire jamais initié, en particulier chez les jeunes victimes».
Elle cite d’ailleurs plusieurs facteurs «susceptibles d’affecter négativement la capacité des victimes à agir dans le contexte de démarches judiciaires», dont un traumatisme psychologique, l’évitement, le déni et/ou la volonté de tourner la page, les sentiments de honte et d’embarras, la non-reconnaissance et la minimisation de la violence, la crainte de ne pas être crue et les craintes pour l’avenir professionnel.
«Le rapport met de l’avant les défis psychologiques et juridiques spécifiques auxquels sont confrontées les victimes, et faisant obstacle au dévoilement, à la recherche d’aide, au signalement et au fait d’entamer des démarches judiciaires», peut-on lire dans la conclusion de Dre Baril.
«Une victime de violence sexuelle peut ainsi être dans l'impossibilité d'agir à long terme pour entamer des démarches à la police ou intenter un recours civil pour plusieurs raisons. Dans les dernières années au Québec, plus de 2000 infractions sexuelles ont été rapportées à la police plus de 30 ans après avoir été commises, montrant que les victimes agissent lorsqu'elles s’y sentent prêtes», ajoute-t-elle, entre autres.
«La vérité»
Gilbert Rozon s'est par ailleurs adresssé aux journalistes lundi matin avant de se rendre en salle d'audience pour la reprise de son procès civil.
Interrogé à savoir comment il abordait cette nouvelle étape - alors que son procès tire à sa fin - l'ex-magnat de l'humour à rétorqué : «En espérant simplement que la vérité va triompher sur le mensonge. Aussi tout simplement que ça.»
Gilbert Rozon a aussi tenu des propos plutôt incisifs sur la couverture médiatique entourant son procès.
«Depuis le début je trouve qu’il y a eu des prises de positions très fermes en quelques heures et depuis huit ans, vous les confirmez au fur et à mesure de ce que vous voulez bien prendre dans l’information. Mais quelqu’un qui utilise juste son gros bon sens, un paysan, qui regarde ça et qui se dit: "Est-ce que c’est possible que M. Rozon ait fait l’amour devant 200 personnes dans son jardin en plein jour? Est-ce que c’est possible que devant 400 personnes il ait fait un attouchement, que la personne ait crié et que personne ne l’ait entendue?" Juste le gros bon sens», a-t-il partagé.
«Je ne suis pas fâché, je suis résigné, c’est tout, je suis combatif, j’essaie seulement que la vérité perce ce mur [...] C’est facile de dire un mensonge alors que de le démolir c’est très dur, puisque c’est ma parole contre la leur et comme il y a des enjeux financiers colossaux...»
Retour sur le contre-interrogatoire
Le contre-interrogatoire de Gilbert Rozon s'est tenu sur trois jours d'audience et demi.
Tout au long du processus, il a nié les allégations d’agressions sexuelles le visant.
Gilbert Rozon a plusieurs fois répété que selon lui, il a été entraîné dans une «folie» dans laquelle «tout le monde a un intérêt financier majeur».
Le magnat déchu de l’humour a affirmé que les demanderesses formaient une «meute» motivée par l’argent et qu’elles auraient créé leur propre vérité.
L’homme d’affaires a aussi mentionné lors du dernier jour de son contre-interrogatoire qu'il estimait qu’il aurait été préférable de sortir son chéquier et de régler hors cour même s’il répète avec insistance depuis le début qu’il n’a rien à se reprocher.
«Moi, j'ai fait mon job. Je suis venu me défendre. J'aurais pu faire des chèques il y a huit ans. Je ne l'ai pas fait. Mais je vais vous le dire, vous l'avez noté, je le regrette. J'aurais été plus intelligent», a-t-il confié.
Neuf demanderesses et de nombreux témoins
Le procès civil de Gilbert Rozon s'est ouvert au début de décembre 2024 alors que neuf demanderesses lui réclament environ 14 millions $ pour des agressions sexuelles et des viols, entre autres.
Les neuf demanderesses sont : Lyne Charlebois, Guylaine Courcelles, Patricia Tulasne, Danie Frenette, Anne-Marie Charette, Annick Charette, Sophie Moreau, Marylena Sicari et Martine Roy.
Des femmes sont également venues témoigner de faits similaires au procès civil de Gilbert Rozon, dont plusieurs personnalités connues comme Julie Snyder, Salomé Corbo et Pénélope McQuade. L'ex-conjointe du fondateur de Juste pour rire, Véronique Moreau, a aussi pris la parole.
Les avocats Rozon ont également appelé des témoins au cours des derniers mois, dont ses soeurs Luce et Lucie Rozon et son ex-bras droit Guylaine Lalonde. Elles ont tenu des discours contraires à ceux des présumées victimes qui ont été entendus jusqu’à maintenant. Le tribunal a aussi entendu, entre autres, le journaliste, auteur et producteur Guy Fournier ainsi que l'ancien premier ministre Pierre-Marc Johnson.
L'un des prochains témoignages attendus est celui de l’homme d’affaires québécois Pierre Karl Péladeau. Initialement prévu en juin, il devrait avoir lieu le 29 août. M. Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, doit témoigner dans le cadre du procès de Rozon concernant une rupture de relation d'affaires entre Juste pour rire et Québecor.

