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Hydro-Québec surveille la campagne électorale à Terre-Neuve

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8f36e33f6b2485e3b021664b5c7b37551cacfce10caca0aafd1149eb287a23ad.jpg Le premier ministre du Québec, François Legault, et son homologue de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, signent une entente de principe concernant le développement du complexe hydro-électrique de Churchill Falls, à Saint-Jean, le 12 décembre 2024. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Daly (Paul Daly | La Presse canadienne)

En dépit de la surenchère de critiques qui risque d'avoir lieu durant la campagne électorale à Terre-Neuve-et-Labrador, Hydro-Québec doute de pouvoir bonifier considérablement l'entente signée avec cette province pour le partage des revenus et le développement du complexe Churchill Falls.

Les élections qui ont été déclenchées lundi et leur résultat pourraient compromettre le protocole d'entente signé en décembre dernier entre le premier ministre François Legault et son homologue libéral de l'époque, Andrew Furey. 

C'est l'entente dont M. Legault a dit être le plus fier, mais elle alimente une controverse constante depuis chez les Terre-Neuviens.

Le texte prévoit que Hydro-Québec versera au total 33,8 milliards $ au consortium de Churchill Falls jusqu’à la fin de 2075, pour augmenter la production d'énergie avec de nouveaux barrages et hausser les redevances à Terre-Neuve. Il remplacerait avant son terme en 2041 le contrat actuel signé en 1969, jugé injuste par les Terre-Neuviens.  

Mais le Parti conservateur de Terre-Neuve laisse entendre que s'il prend le pouvoir, il exigera de «meilleures conditions» dans la nouvelle entente, ce que réclament aussi des observateurs et des groupes de citoyens. 

Par contre, à Hydro-Québec, on voit mal comment l'ébauche de ce contrat pourrait être très remaniée et améliorée. La société d'État devra-t-elle surenchérir, mettre plus d'argent sur la table pour sauver l'accord?

«Je n'ai pas la réponse à cette question-là», a affirmé une source officielle d'Hydro-Québec, dans une entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne. 

Cependant, le texte actuel est déjà avantageux pour les deux parties et la version finale ne devrait pas beaucoup s'en éloigner, a fait comprendre cette source proche du dossier dont on ne peut dévoiler l'identité.

«Je ne sais pas quel type de modification il pourrait y avoir entre le l'entente de principe et l'entente finale», a indiqué notre interlocuteur qui a requis l'anonymat. 

«Mais ce que je comprends, c'est que l'entente de principe, elle est quand même assez étoffée. (...) On part avec un travail quand même très élaboré qui a été fait préalablement.»

Hydro-Québec a assuré qu'elle ne veut pas s'ingérer dans les affaires internes de la province voisine. 

Son représentant a indiqué que les travaux préparatoires et les négociations pour en arriver à une entente finale d'ici à avril 2026 se poursuivent, malgré la campagne électorale.

«Les discussions sont en cours, il n'y a pas de bris ou de pause dans les discussions», a-t-on fait savoir.

Est-ce qu'il y a des inquiétudes dans la haute direction d'Hydro-Québec concernant l'issue des élections et l'avenir de l'entente?

«C'est sûr qu'on suit l'actualité comme vous», a répondu le responsable de la société d'État. 

«Quand il y a une campagne électorale, il y a du 'bruit' politique, il y a différentes opinions, et je ne dis pas ça pour que ce soit réducteur. Donc on comprend que ça fait partie de la toile de fond. On connaît un peu comment ça se déroule ces choses-là. (...) On suit ça, mais on demeure convaincu des aspects bénéfiques pour les deux provinces.»

Le fruit est mûr pour ce genre de projet, assure-t-on. Le représentant a rappelé que le président d'Hydro-Québec de l'époque, Michael Sabia, un des artisans de l'entente, évoquait un «momentum» pour des «projets énergétiques qui ont un effet structurant sur l'économie».

Toutefois, Michael Sabia a quitté Hydro depuis pour devenir greffier du Conseil privé, tandis que le partenaire de M. Legault qu'il considérait comme son «ami», Andrew Furey, a lui aussi démissionné.  

Néanmoins, Hydro-Québec assure que la relation avec la province voisine a pu survivre et se porte bien, le canal de communication reste ouvert. 

«Il y a un certain arrimage, une bonne entente s'est créée entre les deux en tout cas de ce qu'on peut voir», a commenté notre source. 

«Il y a quand même une bonne collaboration entre les équipes d'Hydro-Québec et les équipes de (Newfoundland and Labrador) Hydro.»

Rappelons que le protocole d'entente annoncé en décembre dernier en grande pompe à Saint-Jean par les deux premiers ministres vise à mettre fin à près de 60 ans de litige sur l'exploitation de l'actuelle centrale hydro-électrique de Churchill Falls, située au Labrador.

Terre-Neuve-et-Labrador s'estimait en effet flouée par le contrat signé en 1969, en vertu duquel Hydro-Québec achète l’électricité à 0,2 cent le kWh, mais la revend ensuite à gros prix. Le prix passera graduellement à 6 cents le kWh, donc 30 fois plus.

À titre d'exemple, en 2019,  l'entente avait généré près de 28 milliards $ de profits pour le Québec et environ 2 milliards $ pour Terre-Neuve-et-Labrador.

Mais François Legault faisait valoir depuis quelques années qu'il fallait renégocier le partenariat plus tôt que tard, pour éviter de signer sous la pression de l'échéance de 2041, mais aussi, pour pouvoir assurer les besoins futurs du Québec en énergie. 

Ainsi, en échange de redevances plus élevées pour Terre-Neuve, Hydro-Québec sera maître-d’œuvre pour l’augmentation de la puissance de la centrale actuelle de Churchill Falls, mais aussi pour une deuxième centrale à proximité, ainsi qu'une centrale en aval du fleuve Churchill à Gull Island, des projets évalués au total à 25 milliards $.

Le Québec aurait accès à 7200 MW additionnels pour combler ses besoins. 

Une ligne de transport devra raccorder Gull Island à La Romaine, conditionnelle à l’assentiment des communautés autochtones. 

Le coût de production sera de 11 cents le kilowattheure (kWh), ce qui reste très concurrentiel, avait tenu à préciser M. Sabia à l'époque.

«C'est vraiment une entente extraordinaire, avait soutenu M. Legault en conférence de presse en décembre. Moi, ça fait six ans que je suis premier ministre du Québec, c'est de loin l'entente dont je suis le plus fier.»

Actuellement, la puissance de Churchill Falls est 5400 MW et elle fournit 15 % de l’électricité d’Hydro-Québec.