Au moment d'embaucher Karl Malenfant en 2013, l'ex-PDG de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) Nathalie Tremblay ignorait tout des difficultés qu'il avait connues à Hydro-Québec.
C'est ce qu'elle a affirmé sous serment lundi devant la commission Gallant chargée d'enquêter sur le fiasco SAAQclic. «Aucune allégation (...) n'a été portée à mon attention», a-t-elle déclaré.
Le témoignage de Mme Tremblay revêt une importance capitale pour la commission, puisqu'elle occupait les plus hautes fonctions à la SAAQ de 2010 jusqu'à 2022.
Elle a quitté le navire peu de temps avant le déploiement raté de SAAQclic, qui a provoqué à l'hiver 2023 des files d'attente monstres devant les succursales.
En février 2025, la vérificatrice générale du Québec a affirmé dans un rapport que le virage numérique de la SAAQ devrait coûter au moins 1,1 milliard $ d'ici 2027, soit 500 millions $ de plus que prévu.
Selon plusieurs témoignages, avant de se joindre à la SAAQ comme vice-président aux technologies de l'information, M. Malenfant aurait mal réussi son projet informatique à Hydro-Québec.
Or, Mme Tremblay a déclaré lundi qu'elle n'avait jamais eu vent de ces déboires. Le chasseur de têtes Odgers, qui lui avait soumis le nom de Karl Malenfant, n'en aurait pas non plus fait mention.
Cinq ans plus tard, en 2018, le journaliste Pierre-Paul Biron, du Journal de Québec, rapportait pourtant que le projet informatique de M. Malenfant chez Hydro-Québec était «qualifié à l'époque de "fiasco"».
«Je ne connaissais pas en 2013 le projet d'Hydro-Québec. Je n'étais pas au courant de ce qui sera, cinq ans plus tard, présenté dans les journaux», s'est défendue Mme Tremblay.
Le 20 mai dernier, à la commission Gallant, l'ex-membre du c.a. de la SAAQ Anne-Marie Croteau déclarait au contraire que le parcours de Karl Malenfant à Hydro-Québec était vu comme un atout.
Elle disait avoir participé à la dernière entrevue visant à confirmer l'embauche de M. Malenfant.
«Que ç'a été difficile à Hydro-Québec, on se disait que c'est peut-être une façon d'apprendre des expériences passées. C'était pour nous un peu une garantie qu'il allait faire attention aux anciennes erreurs», a-t-elle déclaré.
Allègement des règles
La SAAQ a confié en 2013 à M. Malenfant la refonte de ses systèmes informatiques. Sous ses conseils, elle a convaincu le gouvernement d'alléger les règles la régissant.
Ainsi, a résumé le procureur Simon Tremblay, au lieu d'avertir le directeur principal de l'information de délais ou de dépassements de coûts, il fallait désormais avertir M. Malenfant.
«M. Malenfant n'est pas seul dans son univers, a fait valoir Mme Tremblay, lundi. Il a un patron, moi, un comité de direction, (...) un c.a. (...) Il y avait des mécanismes.»
Mme Tremblay a toutefois convenu que de permettre en 2014 à la firme SAP — un potentiel soumissionnaire — de participer au choix du logiciel pour SAAQclic avait été «risqué».
«J'ai posé les questions, a-t-elle assuré. La réponse qu'on m'a donnée, c'est (...) SAP est déjà un fournisseur chez nous. On a le droit de lui parler, parce qu'on est déjà en relation d'affaires avec lui.»
Jamais Karl Malenfant ne lui mentionne qu'il a déjà travaillé avec SAP à Hydro-Québec, selon son témoignage. «Pas du tout.»
Laxisme?
Lundi, Mme Tremblay a dû se défendre d'avoir fait preuve de «laxisme». C'est qu'en 2015, elle informe le Conseil du trésor que le projet informatique de la SAAQ coûtera 200 millions $ sur 10 ans.
«Si ce n'est pas (un manque de) transparence, c'est du laxisme?» a demandé le commissaire Denis Gallant. «Non», a répondu l'ancienne haute fonctionnaire.
«C'était un estimé, a-t-elle expliqué. Quand on va au Trésor, il y a des formulaires, des petites cases à remplir, et quand on est arrivés à cette case-là, bien il fallait la remplir.»
«On connaît l'histoire. (...) Vous allez vous apercevoir que vous étiez dans le champ gauche avec l'estimé», a répliqué le commissaire.
Le contrat que la SAAQ signera en 2017 avec LGS-SAP («l'Alliance») sera finalement de 458 millions $ sur 10 ans. Le coût total du projet est alors évalué à 640 millions $.
Perdu le sourire
Nathalie Tremblay a déclaré avoir éprouvé ses premiers doutes à l'égard du projet en 2019, alors qu'elle apprend que l'Alliance a sous-estimé de 800 000 heures le travail nécessaire pour compléter la phase 2.
«La madame, elle a arrêté de sourire», a-t-elle illustré.
Mais rompre le contrat aurait coûté des dizaines de millions de dollars en pénalités et n'aurait pas permis de terminer le projet. La SAAQ se serait en outre exposée à des poursuites judiciaires, a-t-elle plaidé.
Il était préférable de régler «à l'amiable», selon son témoignage. C'est toutefois à ce moment que l'Alliance, ce «partenaire», devient pour elle qu'un simple «fournisseur».
Le témoignage de Mme Tremblay se poursuivra mardi, à Québec. Mercredi, ce sera au tour de l'architecte du virage numérique de la SAAQ, Karl Malenfant, de livrer sa version des faits.

