Un appel d'un proche en panique, une histoire d'accident grave, une arrestation et une caution élevée à rembourser: voilà les grandes lignes d'une fraude de type grands-parents, un type de fraude qui fait des ravages au Québec et dans lequel le père de Roxane, un homme de l'Abitibi-Témiscamingue, a failli perdre des milliers de dollars.
Le père de Roxane — qui souhaite préserver son anonymat et celui de son père — a reçu un appel de son autre fille lundi matin.
En panique, la jeune femme au bout du fil — «qui a la même voix que ma sœur, selon mon père», soutient Roxane — raconte qu'elle vient d'avoir un accident de la route alors qu'elle textait au volant et qu'elle a frappé une femme enceinte. Elle ajoute que le bébé serait entre la vie et la mort.
«À ce moment, elle dit à mon père que son cellulaire a été saisi et elle lui demande de ne pas essayer de la joindre sur celui-ci. Elle dit aussi que sa voiture a été saisie et que son avocat qui lui a été assigné va le rappeler dans quelques instants pour qu'ils discutent d'une caution allant de 5 000 $ à 7 000 $», raconte Roxane en entrevue à Noovo Info.
«Elle supplie également mon père de ne pas raconter cette histoire à personne», ajoute-t-elle.
Il alerte son autre fille
Le père de Roxane met donc fin à la conversation et attend le coup de fil de l'avocat. Entre temps, il contacte Roxane via l'application Messenger lui demandant de le rappeler rapidement, «que c'était important».
«Je l'ai rappelé tout de suite. Il me raconte le scénario, il est super ébranlé et un peu paniqué», confie Roxane. «D'ailleurs, la première raison de son appel, c'est qu'il voulait que je l'aide avec les transferts bancaires vu que je suis dans la même région que ma sœur.»
«Quand j'ai entendu le mot "caution", j'ai dit, "oh attends une minute, fait attention"», souligne-t-elle.
Roxane affirme avoir déjà entendu des histoires du genre à propos de fraude, ce qui lui a aussi mis la puce à l'oreille. Elle a tout de suite pensé à un stratagème de fraude utilisant l'intelligence artificielle.
«Mon père me disait "Non, je te le dis Roxane, c'était la voix de ta sœur, le même son, les mêmes intonations." Et je lui ai répondu : "Non, papa, je ne crois pas. Je pense que ça peut être lié à l'intelligence artificielle". Il n'y croyait pas au début, après avoir réfléchi, sachant que ma sœur n’utilise pas sa voiture pour travailler et que ma sœur ne texte jamais au volant, il s'est remis en question», a expliqué Roxane.
Un avocat «insistant»
Après avoir parlé avec Roxane, son père a reçu quatre autres coups de fil provenant d'une personne prétendant être l'avocat de sa fille. Il n'a pas répondu aux trois premiers appels, mais a finalement décroché le téléphone, par curiosité. «Il voulait voir de quelle façon il [le fraudeur] allait se présenter, et c'était très réel».
«L'homme au téléphone s'est présenté à mon père comme étant l'avocat de ma sœur, en nommant son réel prénom, et en lui disant qu'ils devaient parler de la caution. L'homme a demandé à mon père pourquoi il n'avait pas décroché le téléphone lors des appels précédents mentionnant que la situation était très urgente», a raconté Roxane.
À ce moment, le père de Roxane met fin à l'appel.
Heureusement, le père de Roxane n'a pas perdu d'argent dans cette mésaventure. Une plainte a été déposée auprès de la police de Val-d'Or.
Roxane a partagé l'incident via les réseaux sociaux et en parle ouvertement pour sensibiliser les gens.
«C'est solide comme type de fraude et ce sont des montants quand même assez considérables. Mon premier réflexe a aussi été d'en parler avec des gens proches de moi, dont mon conjoint et des amis(es) en Abitibi-Témiscamingue, et je me suis rendu compte rapidement que personne n'avait jamais entendu parler de ça. Je me suis dit que ça valait la peine de mettre les gens sur leur garde», a affirmé Roxane.
Les fraudes, un fléau même en région
Contactée par Noovo Info, la Sûreté du Québec (SQ) n'avait pas sous la main des données précises concernant les fraudes de type grands-parents sur le territoire de l'Abitibi-Témiscamingue, mais affirme que les cas de signalement sont en hausse.
«Il y a des vagues. Par exemple, pendant une semaine ou deux nous recevons des plaintes concernant ce type de fraude de résidents de Val-d'Or, puis il y a un temps mort et ensuite une autre vague de signalement, cette fois dans une autre ville, comme Amos ou Barraute», a expliqué la sergente Nancy Fournier, porte-parole pour la SQ.
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Mme Fournier indique que la Sûreté du Québec intervient régulièrement dans les médias et sur les réseaux sociaux notamment pour faire des mises en garde en lien avec des cas de fraude. Les policiers font aussi des interventions parfois auprès des institutions bancaires des régions visées par des vagues de fraude afin que le personnel soit vigilant vis-à-vis certaines transactions de leur clientèle, particulièrement auprès des aînés.
«Prenez aussi le temps d'expliquer à vos parents et vos grands-parents l'existence de ce genre de stratagème, comme la fraude grands-parents, et de leur expliquer justement que c'est une fraude et que s'ils reçoivent un appel du genre, il faut être extrêmement vigilant», souligne la sergente Fournier.
Le 18 avril dernier, des policiers de la Sûreté du Québec de l'Abitibi-Témiscamingue ont par ailleurs procédé à l'arrestation de deux hommes à Rouyn-Noranda et d'une femme à Mont-Tremblant en lien avec une vague de fraude de type grands-parents. «Nous avions une trentaine de dossiers en cours pour cette seule journée», précise Nancy Fournier.
En août 2023, la SQ avait aussi procédé à deux autres arrestations en Abitibi-Témiscamingue en lien avec la fraude de type grands-parents.
Hausse «préoccupante» des fraudes au Québec
Le 17 avril dernier, l'Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) a senti le besoin de faire une sortie publique devant une hausse «préoccupante» des cas de fraudes au Québec. En effet, l'an dernier, près de 37 000 Québécoises et Québécois ont été victimes de fraude, une augmentation de 15% sur deux ans.
Selon le Centre antifraude du Canada, en date du 31 mars 2024, donc en trois mois, les Québécois se sont fait subtiliser plus de trois millions de dollars.
«Chaque fois que vous utilisez vos cartes [de crédit ou de débit], chaque fois que vous ouvrez un courriel, chaque fois que vous répondez au téléphone, vous vous exposez à des arnaques de plus en plus sophistiquées», avait prévenu Patrick Bélanger, porte-parole de l'ADPQ et directeur de police de la Ville de Longueuil.
Les fraudes les plus fréquentes au Québec sont celles impliquant l'utilisation frauduleuse de cartes de service — crédit ou débit—, les ordinateurs et le vol d'identité.
«Ces catégories englobent notamment les fraudes impliquant les faux représentants, les fraudes de type grands-parents et les fraudes amoureuses», a précisé Patrick Bélanger.
Selon le Centre antifraude du Canada, les montants perdus par les victimes de fraudes amoureuses sont par ailleurs «alarmants». Au Québec, 42 personnes ont dénoncé une arnaque amoureuse depuis le début de l'année 2024 et les montants perdus s'élèvent à 800 000 $.

