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«Ce que je vis, je le dois à d'autres.»
Signe que la société change, la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, écrira l'histoire en devenant dans quelques semaines la première ministre fédérale ouvertement lesbienne qui, lorsque son épouse accouchera, prendra un congé parental.
«Je ne suis pas quelqu'un qui aime tellement parler de moi ou de ma vie personnelle non plus», confie-t-elle d'entrée de jeu en entrevue avec La Presse Canadienne.
Assise à une table de la bibliothèque du Parlement à quelques pas de la Chambre des communes, la ministre reconnaît que c'est loin d'être une entrevue comme une autre. Elle dit ressentir «un mélange d'inconfort et, en même temps, de gratitude».
Pourquoi donc avoir accepté de parler publiquement de ce congé parental? «Ce que je vis ça s'inscrit dans une continuité de décisions politiques et de luttes acharnées de personnes qui m'ont précédée, dit-elle. J'ai une responsabilité à assumer de continuer le combat.»
Pascale St-Onge est souriante alors qu'elle raconte «la joie» d'accueillir bientôt un bébé dans sa vie, «une expérience incroyable que bien des humains vivent et que certains tiennent pour acquise». Or, pour des membres de la communauté LGBTQ, c'est «un petit peu plus complexe, (...) un chemin de croix parfois».
La grossesse de son épouse va «super bien», dit-elle. L'accouchement est prévu «autour de la mi-novembre, fin novembre».
Le timing, qui n'a pas été planifié, assure-t-elle, est donc presque idéal, étant donné que ce sera peu de temps avant la pause des Fêtes.
La ministre projette, dans un premier temps, quitter Ottawa pour se rapprocher du lieu de l'accouchement et travailler de manière virtuelle à partir du début novembre. Elle pourra notamment assister aux débats aux Communes et voter à distance, de même que de participer aux réunions du cabinet et à celles de comités ministériels, en plus de prendre des décisions à titre de ministre.
Son équipe avait imposé une condition à l'entrevue: que son épouse ne soit pas identifiée. La ministre expliquera qu'elle veut protéger sa vie privée et épargner ceux qu'elle aime de subir «ces choses-là».
Ces choses-là, ce sont les commentaires haineux, les missives et les courriels qu'elle reçoit de gens «qui essaient de nous faire taire, de nous dire qu'au Canada ça ne devrait pas être un sujet de conversation». Elle ne peut s'empêcher d'observer la recrudescence des violences homophobes au pays.
Pascale St-Onge a longtemps été une cheffe syndicale avant de faire le saut en politique et d'être élue quelques mois plus tard, en septembre 2021, dans la circonscription de Brome-Missisquoi, en Estrie.
Le combat pour aider les gens de sa communauté qui se sentent abandonnés s'inscrit fondamentalement, dit-elle, dans son engagement politique sous la bannière d'un parti qui veut «voir notre société progresser, être plus respectueuse des différences».
Les mains parfois légèrement tremblantes, impossible de ne pas capter qu'elle ressent le poids d'un combat plus grand qu'elle, de gains réalisés par des militants «qui ont beaucoup souffert, certains ont été emprisonnés».
«Ce que je vis, je le dois à d'autres», résume-t-elle
Traçant cette toile historique, elle raconte qu'en 1969 le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, le père de l'actuel premier ministre, décriminalisait l'homosexualité au pays. Deux ans plus tôt, après avoir présenté son projet de loi et alors qu'il était ministre de la Justice, il déclarait aux journalistes que «l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation».
Elle raconte les purges dans l'armée, la GRC et la fonction publique. «Des gens ont perdu leur "job" parce qu'ils étaient homosexuels», s'indigne-t-elle. Au passage, elle mentionne que les taux de suicide sont plus élevés dans sa communauté.
En 2005, sous le gouvernement de Paul Martin, le mariage gai devient légal. «Et moi, je me suis mariée cet été», lance la ministre.
Depuis que Justin Trudeau est au pouvoir, les thérapies de conversion sont maintenant interdites, l'identité de genre fait partie de la Charte canadienne des droits et libertés, et l'interdiction pour les hommes homosexuels de donner du sang a été retirée.
Comme quoi la politique n'est jamais bien loin, elle signale au passage que «la majorité de ces choix-là, sinon tous ces choix-là» ont été faits alors que le Parti libéral du Canada était au pouvoir.
À l'inverse, elle n'hésite pas à accuser le Parti conservateur du Canada actuellement dirigé par Pierre Poilievre d'être composé de la «faction la plus rétrograde» du Canada, «très portée sur des valeurs religieuses (...), et qui souhaite voir le pays reculer sur certains progrès sociaux», y compris le droit à l'avortement.
Appelé à réagir, le bureau de M. Poilievre a dénoncé ces «affirmations scandaleuses» qui «révèlent le profond désespoir» des libéraux qui «mentent pour détourner l'attention de la misère qu'ils ont infligée» aux Canadiens.
«Le progrès, c'est accepter que les opinions des gens – et des partis – puissent changer», a insisté l'une de ses porte-parole, Marion Ringuette.
Elle a pointé vers le tout premier discours de M. Poilievre à titre de chef conservateur où il déclarait qu'au Canada «ça n'a pas d'importance qui vous aimez».
Quelques mois plus tard, il avait affirmé vouloir faire du Canada «le pays le plus libre au monde», une liberté qui s'applique à «tous, y compris les gais et les lesbiennes».
C'est sans compter que lors du vote de 2005 sur le mariage gai, le quart des libéraux avaient voté contre, a souligné Mme Ringuette. Notons néanmoins que c'était le cas de 97 % des conservateurs, y compris M. Poilievre qui a depuis changé d'avis.
Outre Mme St-Onge, le cabinet de Justin Trudeau est composé d'un autre ministre de la communauté 2ELGBTQI+, soit l'Albertain Randy Boissonnault.
Plusieurs députés actuels sont aussi issus de cette communauté. Selon une recension de «The Hill Times», il y a notamment les néo-démocrates Blake Desjarlais et Randall Garrison, les libéraux Rob Oliphant et Seamus O'Regan, et le conservateur Eric Duncan.
La députée conservatrice Melissa Lantsman est la seule autre élue qui s'affiche ouvertement comme lesbienne.
En mars 1987, l'ancienne vice-première ministre Sheila Copps a été la première députée de l'histoire du pays à accoucher alors qu'elle était en fonction.