La Thaïlande a mené jeudi des frappes contre des cibles militaires cambodgiennes, tandis que Phnom Penh a procédé à des tirs d'artillerie et de roquettes, faisant au moins 11 morts selon Bangkok, dans des affrontements frontaliers d'une rare intensité.
Les deux royaumes s'opposent depuis des décennies sur le tracé de leur frontière commune longue de près de 840 km, en grande partie tracée par les autorités coloniales françaises en Indochine entre 1863 et le milieu des années 1950.
Comment cela a commencé
Les tensions entre Bangkok et Phnom Penh ont réémergé après la mort d’un soldat cambodgien fin mai, lors d’un échange nocturne de tirs dans la zone dite du «Triangle d’émeraude», pour sa proximité avec un troisième pays, le Laos.
Des mesures de représailles, décrétées par les deux camps, ont déjà affecté l’économie et le sort de nombreux habitants des régions concernées. La Thaïlande a notamment restreint les passages terrestres à la frontière, tandis que le Cambodge a suspendu l’achat de plusieurs produits auprès de son voisin, dont le carburant.
Le ministère thaïlandais de la Santé a annoncé jeudi qu’au moins 11 civils ont été tués dans les tirs de roquettes et d’artillerie menés par le Cambodge, dans trois provinces thaïlandaises.
Phnom Penh n’a pas communiqué sur d’éventuelles victimes de son côté.
Les discussions engagées pour calmer les tensions ont échoué. Des analystes estiment que ce regain de violence reflète des tensions politiques internes, notamment en Thaïlande.
À VOIR AUSSI | Le Canada et ses alliés de l'OTAN consacreront 5% de leur PIB à la défense d'ici 2035
Ce qu'il s'est passé jeudi
Des affrontements ont éclaté jeudi matin, aux alentours de 8h, près de temples à la frontière entre Surin et Oddar Meanchey, les deux armées s’accusant mutuellement d’avoir ouvert le feu.
La Thaïlande a ensuite accusé le Cambodge d’avoir tiré des roquettes et de l’artillerie sur son territoire. Huit personnes ont trouvé la mort dans la province de Sisaket, où une attaque à la roquette a touché une supérette près d’une station-service, selon les autorités. Un garçon de huit ans a aussi été tué à Surin.
Bangkok a déployé des avions de combat F-16 contre deux cibles militaires cambodgiennes, selon un responsable de l’armée. Phnom Penh n’a pas souhaité communiquer sur d’éventuels dégâts.
La Thaïlande a accusé le Cambodge d’être «inhumain, brutal et avide de guerre», affirmant qu’il cible des infrastructures civiles.
Le Cambodge a rejeté ces accusations et assuré que Bangkok conduisait une «agression militaire». Le ministère cambodgien de la Défense a précisé que ses troupes avaient uniquement visé des objectifs militaires.
Sur le terrain diplomatique
Les affrontements ont éclaté quelques heures après que la Thaïlande a expulsé l’ambassadeur cambodgien et rappelé son propre ambassadeur en signe de protestation après l’explosion d’une mine cette semaine ayant blessé cinq militaires thaïlandais.
Sur Facebook, l’ambassade de Thaïlande à Phnom Penh a exhorté ses ressortissants à quitter le Cambodge «le plus tôt possible».
Le premier ministre cambodgien Hun Manet a de son côté demandé jeudi au Conseil de sécurité de l’ONU de convoquer une «réunion urgente».
«Profondément préoccupée», la Chine a exhorté les deux pays à résoudre leur différend frontalier par le dialogue.
Le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim, qui occupe la présidence tournante de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), a appelé à la «retenue».
Les États-Unis et la France ont également exprimé leur inquiétude, appelant à une résolution pacifique.
Le Cambodge a annoncé avoir déposé une nouvelle plainte auprès de la Cour internationale de justice concernant quatre zones contestées.
La Thaïlande, pour sa part, privilégie un mécanisme bilatéral en place depuis près de 30 ans pour résoudre le différend.
Conséquences sur la politique thaïlandaise
Les tensions ont provoqué de manière indirecte la suspension, début juillet, de la première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra, à la suite d’un scandale provoqué par la fuite, côté cambodgien, d’un appel téléphonique passé à Hun Sen, qui a gouverné le Cambodge pendant près de quarante ans. L’appel était initialement prévu pour désamorcer les tensions.
Paetongtarn, 38 ans, attend la décision dans les prochaines semaines de la Cour constitutionnelle, qui peut la destituer.
Elle est accusée de manquements à l’éthique et d’avoir fait preuve de faiblesse vis-à-vis de Phnom Penh, sapant l’autorité de l’armée thaïlandaise.
Selon certains observateurs, l’armée thaïlandaise, historiquement puissante, est désormais en première ligne dans la gestion de la crise.
Conscription au Cambodge
Le premier ministre Hun Manet a annoncé mi-juillet que le gouvernement allait appliquer à partir de l’année prochaine la loi votée en 2006, mais jamais entrée en vigueur sur la conscription des Cambodgiens âgés entre 18 et 30 ans.
Hun Manet a proposé de fixer la durée du service militaire à 24 mois, sans donner de détails sur le nombre de personnes concernées.
Le politologue cambodgien Ou Virak estime que le pays est «désespéré de s’opposer à ce qui pourrait être perçu comme de l’intimidation de la part d’un voisin plus puissant».
Et d’avertir: «la flamme nationaliste peut facilement être allumée, mais il est très difficile de l’éteindre».