La nouvelle saison de Wednesday vient de sortir sur Netflix. Fidèle à l’univers de Tim Burton, elle s’inspire de l’expressionnisme allemand. Né au cinéma dans un contexte d’après-guerre, il représentait l’emprise et le pouvoir du gouvernement hitlérien sur le peuple. Le plus célèbre film représentatif de cette période, Le cabinet du docteur Caligari.
Dans l’univers de Tim Burton, c’est toujours ainsi. Processus emprunté au mouvement allemand pour symboliser l’aveuglement militaire, un Maître exerce une sorte de puissance hypnotique sur un sujet. Il le conditionne pour tuer à sa place telle un soldat, moitié- lucide, moitié- somnambule. Les folies meurtrières sont donc l’œuvre de deux coupables, la main qui assassine, et le Maître qui la gouverne.
C’était le cas du chevalier sans tête contrôlé par une femme perfide dans Sleepy Hollow. C’était la même chose dans la première saison de Wednesday alors que le personnage de Christina Ricci, l’originale Wednesday, annihile l’humanité d’un jeune garçon pour qu’il n’en reste qu’une bête bonne à tuer. C’est encore la même cette saison, alors qu’on recherche celui qui assassine en contrôlant les corbeaux.
Difficile de ne pas penser au processus de déshumanisation occidentale nous ayant menés jusqu’à aujourd’hui, à l’armée des agents ICE traumatisants les résidents du Sud. L’héritage mexicain de la famille Addams ajoute au narratif anticolonialiste de la série.
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Dans l’univers Burton, il y toujours cette opposition entre deux peuples. Un groupe outrageusement institutionnalisé tente d’extirper l’autre de son territoire. Dans la nouvelle saison, un camp de vacances aux allures de service militaire essaie de s’approprier les terres des outcasts qui doivent en venir à la guerre pour se défendre. Le film de l’époque montrait Wednesday refusant de manger le pain à Thanksgiving avec les pilgrims, les accusant d’avoir volé les terres aux Premières Nations dans un monologue devenu classique.
L’intrigue cette fois se déroule dans la ville de Jericho, nom biblique par ailleurs d’une première conquête de territoire sur fond religieux. La ville est bâtie sur les cendres d’un génocide mené par un père fondateur, Joseph Crackstone, un homme sanglant aux allures de Christophe Colomb. Jericho a lavé l’histoire de son héritage meurtrier et idéalise ses racines pilgrim. Wednesday: «Il faut être particulièrement stupide pour consacrer un parc d’attractions entier à des fanatiques responsables d’un génocide de masse».
Goodie, l’ancêtre de la protagoniste qui périt sous le régime pilgrim, lance à l’agresseur juste avant de mourir: «Nous étions là avant vous, vivant en harmonie avec la nature et les Premiers Peuples. Mais vous avez massacré des innocents. Vous nous avez volé notre esprit paisible. Vous êtes le véritable monstre».
Wednesday nous rappelle que rien n’a changé depuis Goodie, que les outcasts sont encore considérés comme des citoyens de deuxième classe. «Ils nous détestent toujours, ils l’enrobent seulement de flatterie.»
L’expressionnisme allemand de Tim Burton n’a finalement plus rien avoir avec l’Allemagne et tout avoir avec l’Amérique.
J’ignore s’il est possible de regarder Wednesday en l’écartant du climat politique de notre époque. Je me demande sincèrement s’il est possible d’omettre de voir la critique anticolonialiste que symbolise la famille culte. Je me demande aussi si on n’a pas négligé de parler de ce lien – pourtant assez explicite dans la série – afin qu’il échappe aux masses, et perde de sa puissance.
Quoi qu’il en soit, c’est la chose la plus américaine qui soit. Fabriquer une œuvre critiquant leur propre régime, mais trouvant le moyen d’élaguer toute forme de contestation pour couper les ailes au corbeau.
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