Cette histoire se passe au nord de Montréal, au début de l’hiver. Mais cette histoire pourrait se dérouler chez vous, dans l’intimité de la chambre de votre enfant, ici, maintenant. Et ce sans que vous en ayez le moindre doute.
Fin décembre, Nicolas (prénom fictif), un père de famille, communique avec moi pour me raconter ce qui est arrivé à sa fillette de 11 ans sur l’application Snapchat (1). Son objectif: mettre en garde les autres parents afin d’empêcher d’autres jeunes vulnérables de tomber dans le panneau. Il me l’a d’ailleurs répété plusieurs fois lors de notre entretien téléphonique: s’il parle, c’est pour faire de la prévention.
Le père de trois enfants me jure aussi avoir eu toutes les discussions quant aux dangers d’internet avec ses enfants. Il insiste. Malgré toutes les mises en garde possibles, la préado, qu’on appellera Ophélie, s’est quand même fait avoir.
Le cauchemar de tous les parents
Tout débute pendant la grève scolaire. La petite famille de la Rive-Nord, comme bien des Québécois, profite de l’occasion pour s’évader au soleil. «Pendant le voyage, je remarque que ça n’a pas l’air pantoute de tenter à ma fille d’être là, elle qui, d’habitude, ADORE les voyages», m’explique Nicolas.
Ophélie est souvent dans sa chambre, sur son téléphone. Elle s’isole. «Quand j’arrivais près d’elle, elle cachait rapidement l’écran de son cell. Elle barrait souvent sa porte, aussi.»
Vers la fin du périple, la jeune fille dessine un cœur dans le sable avec une lettre au milieu. Nicolas cesse alors de s’inquiéter. «Je pensais qu’elle était en amour avec un petit gars à son école.» C’est quand la famille rentre au Québec que tout bascule.
Un après-midi, Ophélie ment à sa mère. Elle prétexte aller jouer chez une amie. Lorsque cette même amie frappe à la porte de la maisonnée familiale pour savoir si Ophélie est disponible pour faire une activité, la maman comprend qu’il se passe quelque chose d’anormal. Questionnée, l’amie avoue qu’elle pense qu’Ophélie discute avec un adulte sur Snapchat.
À son retour, les parents saisissent le téléphone d’Ophélie. Nicolas et son ex-conjointe ont alors accès au contenu du cellulaire. Partout dans la conversation qu’elle entretient sur une base quotidienne avec l’homme, des photos et des vidéos suggestives de leur petite fille. «Il lui envoyait même de la porno et des audios de filles qui jouissent», m’explique Nicolas, au bord des larmes. «Il lui disait: “Tu entends? Une femme, ça fait comme ça quand ç’a du plaisir”».
En parcourant la conversation, les parents réalisent que leur fille est solidement amourachée. Ils décident d’aller à la police. «Elle est en amour avec lui. Elle le défend. Quand on est allé au poste, elle était hystérique. Elle est très en colère contre nous parce qu’on a porté plainte», me confie le père.
Un consentement vicié
Mais comment font-ils, comment ils font, ces hommes-là, pour enfirouaper des petites filles de 11 ans? «Facile», me dit Nicolas. «Dans le cas de ma fille, il lui a carrément dit son âge. Après, il lui a demandé le sien et a bien spécifié que ça ne lui dérangeait pas, lui, qu’elle ait 11 ans. Donc si elle, ça ne lui dérangeait pas qu’il ait 19 et que lui il était OK avec le fait qu’elle en ait 11, c’était correct.»
«L’accord» passé, Ophélie s’est mise à parler avec ce gars-là presque 24 heures sur 24. Ceux qui sont familiers avec Snapchat savent que lorsqu’on discute avec une autre personne sur une base quotidienne, on obtient une petite flamme. Cette flamme apparaît dans le coin supérieur de la conversation et, pour la conserver, pour qu’elle ne s’efface pas, on doit discuter tous les jours.
La flamme devient une espèce d’outil de mesure, une façon de faire du chantage, aussi. On va avoir des prédateurs qui vont dire «si tu me parles pas, on va perdre cette flamme-là alors ça veut dire que tu ne m’aimes pas vraiment». Il y a une pression de garder le contact, une peur de décevoir.
Je vous l’ai dit, les parents d’Ophélie ont porté plainte. Mais les délais sont longs. Au moment d’écrire ces lignes, le prédateur de leur fille n’a toujours pas été arrêté. «Les policiers, ce n’est pas parce qu’ils ne font pas leur job, c’est vraiment parce que la procédure est très longue», précise Nicolas.
Revenons au jour où Ophélie a menti à sa mère et où une amie a alerté ses parents. Savez-vous où elle était, Ophélie? Dans la voiture du prédateur de 19 ans. PENDANT 3 HEURES. Vous avez bien lu. L’homme est venu la chercher et il a passé trois longues heures avec une enfant de 11 ans dans son véhicule.
Est-ce que les parents de la jeune fille savent ce qui s’est passé dans l’habitacle du véhicule? « Elle nous dit qu’ils ont regardé des vidéos, mais t’sé.», soupire Nicolas.
«Moi je veux juste dire que cet homme-là, il a dit à ma fille qu’il n’était pas question qu’il la perde comme il a perdu les autres», poursuit-il. «Ça veut dire qu’il a fait d’autres victimes, qu’il a une voiture et qu’actuellement, il peut se promener dans tout le Québec. Pendant que la police mène son enquête, il est sûrement en train de leurrer et de ramasser d’autres photos de petites filles.»
Qui est la prochaine? Parce qu’il y en aura d’autres.
(1) Pour ne pas nuire à l’enquête en court, il y a des détails de cette affaire que je ne peux pas révéler.
(2) Le dossier est entre les mains du département de la cybercriminalité de la Sureté du Québec.
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