En décembre dernier, le premier ministre du Québec avait annoncé vouloir restreindre les prières dans les lieux publics. Il semble maintenant vouloir aller de l’avant avec cette idée au courant de l’automne.
Les prières dans les espaces publics ont alimenté beaucoup de discussions et vont continuer d’en susciter. Même si le sujet est polarisant et délicat, ces débats doivent être tenus dans le respect.
Il y a plusieurs considérations à prendre en compte dans ce débat de société. Les aspects juridiques sont importants. L’opinion publique l’est également, non seulement pour avoir une idée de la volonté générale de la population, mais aussi pour mieux comprendre les acteurs politiques (les partis, les syndicats, etc.).
Je présente quelques données utiles pour mieux appréhender les débats qui nous attendent.
Les Québécois et les Québécoises en faveur d’un élargissement de la laïcité
Le graphique 1 ci-bas, produit à partir de données de sondage (voir la note sous le graphique), présente le niveau d’appui à l’énoncé: «Interdire les prières et les manifestations religieuses dans l’espace public (par exemple, dans la rue, les parcs municipaux, etc.)». Les répondants devaient se positionner sur une échelle de 0 à 10 où 0 signifie «totalement défavorable» et 10 «totalement favorable».
La catégorie la plus sélectionnée est, de loin, le 10, à savoir « totalement favorable » à l’interdiction.
Non seulement une majorité de répondants y est favorable, mais beaucoup de gens ont une préférence forte ou très forte. En effet, près de 55% des répondants ont indiqué une valeur de 8, de 9 ou de 10.
Graphique 1. Distribution de l’appui à l’interdiction des prières en public
Note. Les données de sondage ont été collectées en février et mars 2025 et proviennent de plus de 1 800 répondants du panel LEO (web) de Léger. L’échantillon a été construit à partir de quotas pour l’âge, le genre, et la langue afin de correspondre aux distributions du recensement de 2021 sur ces variables.
Le cas du financement des écoles religieuses
Interdire les prières de rues est une mesure qui marque les esprits, mais le débat ne devrait pas porter que sur une mesure.
Le cas du financement public des écoles religieuses est particulièrement intéressant, notamment car il vise disproportionnellement une clientèle catholique, contrairement à l’interdiction des prières de rues qui visent surtout les personnes de confession musulmane.
Mettre fin (graduellement) aux financements de ces écoles, comme le recommandât d’ailleurs le récent rapport Pelchat-Rousseau[MOU1] , permettrait au gouvernement de répondre (au moins partiellement) à l’argument voulant qu’il défende une « catho-laïcité ».
Qu’en pensent les Québécois et les Québécoises?
Encore une fois, ils sont nettement favorables à l’application du principe de neutralité religieuse lorsqu’il est question de couper le financement public aux écoles religieuses.
L’appui est aussi impressionnant que celui pour l’interdiction des prières en public (voir le graphique 2).
Graphique 2. Distribution de l’appui à la fin du financement des écoles religieuses
Note. N = 1833.
Qui appui l’élargissement de la laïcité?
Une possibilité est que cet appui très favorable à l’élargissement de la laïcité soit surtout créé par certains groupes de la population.
Le graphique 3 ci-bas décortique le cas de l’interdiction des prières en public en détaillant l’appui en fonction du groupe d’âge, du genre et de langue maternelle.
Sur l’âge, les plus vieux sont plus favorables, mais même les plus jeunes (18-34 ans) ne sont pas contre l’interdiction.
Il n’y a pas de différence entre les hommes et les femmes, ce qui est notamment intéressant et quelque peu surprenant puisque certaines mesures liées à la laïcité affectent surtout les femmes.
La langue maternelle est un prédicteur important de l’appui, mais, comme pour l’âge, aucun groupe n’est clairement contre l’interdiction.
Graphique 3. L’appui à l’interdiction des prières en public en fonction de l’âge, du genre et de la langue maternelle
La suite: un automne axé sur l’identité?
Il y a fort à parier que le gouvernement Legault voudra recadrer l’agenda politique actuel, alimenté notamment par le fiasco SAAQclic, pour se concentrer sur l’identité québécoise et, en particulier, sur la laïcité.
Premièrement, dans un contexte économique plutôt difficile et incertain, le nationalisme est une voie qui ne lui coûte pas très cher. Deuxièmement, l’opinion publique sera très certainement favorable à certaines mesures clés qui seront proposées.
Le positionnement des partis d’oppositions sera aussi crucial.
Le Parti québécois consultera prochainement ses membres, tandis que le Parti libéral du Québec et Québec solidaire sont des alliés naturels en matière de laïcité en endossant des positions calquées sur le multiculturalisme canadien.
Les partis devraient toutefois, par souci de transparence, se positionner clairement et ne pas seulement dire qu’il ne s’agit pas d’une priorité pour les citoyens et les citoyennes.
Il y a mille et un enjeux qui ne sont pas prioritaires pour l’électorat, pensons à la réforme du mode de scrutin. Ce n’est pas une bonne excuse pour les partis pour éviter de se positionner alors que c’est ce que l’on attend d’eux.
Les oppositions devront avoir le courage d’indiquer où elles logent afin de clarifier l’offre politique et d’alimenter le débat qui, encore une fois, doit se tenir dans le respect.
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