Vous connaissez Carl Schmitt? Professeur de droit et constitutionnaliste allemand, il est considéré comme le juriste officiel du IIIe Reich, dont il inspire les doctrines nazies. Signe des temps, ses travaux sur le Nomos, soit la nécessité de symbiotiser ordre, territoire et droit, sont d’ailleurs aujourd’hui récupérés par les fachos contemporains. Esprit autant dangereux que brillant, il sut résumer, en quelques mots, la recette du succès pour tout populiste : l’important, en politique, est de se construire un ennemi.
Construire, dans le sens d’homme de paille, le sophisme. On part d’une anecdote — ou encore de rien du tout — monte celle-ci en épingle, démonise l’opposant en lui attribuant pléiade de responsabilités ou intentions, souvent violentes, pour enfin se poser comme défenseur ultime du bon peuple face à l’ennemi désigné. Seul besoin de se souvenir du préambule de l’Holocauste, et de la machine propagandiste hitlérienne, afin de s’en convaincre.
D’aucuns m’excuseront l’analogie nazifiant, mais voilà à quoi j’ai pensé, il y a quelques jours à peine, lors des allocutions du secrétaire à la Guerre et du président américain devant 800 généraux à l’air médusé. Une rencontre-surprise aux desseins plus ou moins ésotériques, où l’ensemble des hauts gradés, des quatre coins du pays, furent forcés d’assister, manu militari, sans explications préalables.
D’abord, un appel à la virilité, anti-diversité et perte de poids, gracieuseté du ministre de la Guerre, Peter Hegseth, lesquels les enjoint à assurer que l’armée américaine retrouve sa splendeur. Voilà qui est dit.
Débarque ensuite le chef desdites armées, Donald lui-même. Du haut de sa « morphologie exemplaire », il harangue ensuite la foule d’assujettis en référant au plat principal : « Les villes gérées par les démocrates de la gauche radicale (…) San Francisco, Chicago, New York, Los Angeles sont des endroits dangereux. Et nous allons les remettre en ordre une par une et ce sera quelque chose de très important pour certaines personnes dans cette salle. C’est aussi une guerre. C’est une guerre de l’intérieur ».
Une guerre de l’intérieur, donc. Bon. Mais contre qui, au juste?
Il poursuit: «Nous devrions utiliser certaines de ces villes dangereuses comme terrain d’entraînement pour nos militaires. […] Et si vous n’aimez pas ce que je dis, vous pouvez quitter la salle — et dire au revoir à votre grade, à votre avenir. Ce sera quelque chose de très important pour les gens dans cette pièce, parce que c’est l’ennemi de l’intérieur. Et il faudra s’en occuper avant que la situation ne devienne incontrôlable.»
Pas d’une limpidité absolue, disons. Mais la suite du discours (décousu) donne quelques indices sur l’identité du fameux ennemi : la presse vicieuse et menteuse, les immigrants sans-papiers et enfin, les « opposants politiques ». Trois classiques, donc.
La fin de l’allocution?
«Ensemble, nous réveillerons l’esprit guerrier.»
Voilà qui est dit.
Un discours qui, en bref, aurait pu être prononcé par quelconque autre tyran à travers l’Histoire. Surtout quand on sait le sous-entendu du « c’est à moi que vous devez maintenant prêter serment, et non à la Constitution. »
D’ailleurs, peu avant la surréaliste réunion, le général à la retraire, Ben Hodges, rappelle qu’en juillet 1935, les généraux allemands avaient aussi été convoqués, encore par surprise, pour prêter allégeance à Adolf Hitler.
Sur le réseau X, Hegseth réplique : «Cool histoire, mon général.»
Autre histoire «cool»: les révélations du général John Kelly, ancien chef de cabinet de Trump, à l’effet que ce dernier lui aurait soufflé que celui-ci souhaiterait s’entourer de généraux «comme ceux d’Hitler».
La suite militaire? Pas clair, tant d’un point de vue interne qu’externe[1], sauf si l’histoire se répète, justement.
Le mot de la fin? À un autre théoricien allemand, cette fois du 19e siècle, Carl von Clausewitz:
«La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens.»
Ouais.
[1] On vient d’ailleurs d’apprendre la nouvelle influence du gendre Kushner, quant aux stratégies trumpistes, au Moyen-Orient. À suivre de près.
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