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«Quand on passe son temps à lutter, il n’y a plus de place pour l’innocence, pour vivre et pour respirer.»
Dernièrement, je relisais les écrits d’un ami très proche, qui est un homme blanc et père de deux enfants. Mon ami est une personne idéaliste, avec le bonheur facile et le cœur sur la main. Dans son texte, il racontait que sa fille aînée qui allait avoir six ans à l’époque de leur conversation, lui a demandé « Pourquoi le monde a-t-il besoin d’être changé, Papa ? »
Cette question naïve et qui fait sourire dit plusieurs choses. La première étant que mon ami a réussi, à plusieurs égards, à offrir une enfance heureuse à sa fille. Or, elle révèle également une forme de privilège, ce qu’il s’est empressé de lui expliquer. Soit, que le monde doit changer pour que tous les enfants de la Terre puissent bénéficier d’une jeunesse aussi heureuse que la sienne.
En janvier dernier, je suis tombée par hasard sur une vidéo d’une enfant afro-américaine de 4e année, Montoia Murray, ayant gagné un concours oratoire portant sur l’héritage de Martin Luther King Jr. La petite Montoia est visiblement très brillante et promise à un bel avenir. Or, la dernière phrase de son discours gagnant m’a laissée songeuse : « Ils ont peut-être tué le rêveur, mais ils n’ont pas pu tuer le rêve. », une référence au discours le plus célèbre de Martin Luther King et à son assassinat en 1968.
Je n’ai pas pu m’empêcher de relever la disparité entre la vie de ces deux fillettes : celle de mon ami et Montoia. Évidemment, je ne connais pas Montoia personnellement, mais j’ai été troublée par le poids qu’elle porte déjà sur ses épaules. La voilà déjà en train de demander ce qui devrait aller de soi, l’égalité en dignité et en droits qu’on nous promet, trop souvent, que sur papier.
De Greta Thunberg en passant par la militante écologiste ougandaise, Vanessa Nakate, il y a quelque chose de troublant lorsque l’on observe cette génération d’enfants militants vedettes qui grandit — littéralement — entre les murs des Nations unies ou d’autres sommets prestigieux internationaux pour parler à de « grandes » personnes qui font semblant de les écouter.
La question des droits des enfants trans se pose également en contexte canadien. Alors que nous venons de célébrer la Journée de la visibilité trans (31 mars), leurs droits sont menacés dans plusieurs provinces, comme l’Alberta, mais également au Québec.
Il y a des enfants, en raison des inégalités, qui passent le plus clair de leur temps en mode hypervigilance, contraints de devoir prouver leur humanité à des gens qui leur dérobe leur droit de pouvoir l’incarner. Quand on passe son temps à lutter, il n’y a plus de place pour l’innocence, pour vivre et pour respirer.
Les enfants sont parmi les populations les plus protégées juridiquement. Pensons à des conventions et des chartes internationales ou encore à des institutions comme la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). D’ailleurs, c’est un problème lorsque nos élus sont incapables de rentrer dans les centres jeunesse de cette province pour pouvoir y voir les conditions de vie de celles et ceux qu’on dit, collectivement, chérir comme la prunelle de nos yeux.
La parole des enfants ne compte pas dans notre société. Sans que cela mène forcément à de la violence ou des abus, il faudra qualifier cette asymétrie dans le pouvoir pour ce qu’elle est : un rapport de domination.
C’est la regrettée intellectuelle afro-américaine bell hooks qui disait que les enfants sont d’excellents penseurs critiques jusqu’à ce qu’on les force au silence. Pour ma part, je serai à jamais marquée par le peu de valeur qu’on accordait à ma parole dès que je sortais de chez moi. Fort heureusement, j’ai eu la chance de naître et de grandir dans une famille où mes parents m’ont toujours laissé la liberté d’être et de penser.
Je réaliserai, en vieillissant, que ce n’est pas une richesse qui est donnée à tous. Pendant que l’on me traitait de « pauvre » ad nauseam avec suffisance, je savais en mon for intérieur que j’avais gagné à la loterie de la vie. Je n’ai jamais eu besoin de suivre un troupeau de brebis égarées ou de salir le travail de collègues pour tracer ma propre voie. Ne pas savoir qui je suis et où je vais n’a jamais fait partie de mon vocabulaire. Je sais aujourd’hui que cet amour-propre est dû à la chance d’avoir connu l’amour inconditionnel.
Avec les différentes vagues de violences sexuelles, nous parlons beaucoup de la notion de consentement et avec raison. La magnifique campagne On s’écoute — à laquelle j’ai eu le privilège de participer — menée par l’Université Concordia à destination des institutions collégiales et universitaires en sont un exemple.
Or, les discussions autour du consentement doivent ratisser plus large. Pensons à cette poursuite pour exploitation sexuelle d’enfants intentée par Spencer Elden, ce célèbre bébé nu de 4 mois devenu grand sur la pochette du mythique album de 1991, Nevermind, du groupe Nirvana.
Ou encore au mouvement populaire #FreeBritney en soutien à l’enfant-vedette et chanteuse Britney Spears ayant été placée sous le joug de son père pendant plusieurs années parce qu’elle était soi-disant inapte pour prendre ses propres décisions selon la justice américaine. Le livre, I’m Glad My Mom Died de Jennette McCurdy dans lequel elle relate sa vie d’enfant-actrice et du contrôle qu’exerçait sa mère sur elle jusqu’à ce qu’à sa mort en 2013 démontre qu’il fait souvent très noir dans la cage dorée qu’est la célébrité.
Et que parler des réseaux sociaux ? Qui n’a jamais partagé une vidéo d’un enfant que l’on trouvait drôle et adorable sans jamais se demander si cet enfant a consenti à devenir un meme viral sur Instagram ?
On sous-estime beaucoup l’intelligence des enfants. C’est aussi ce que disait en février dernier l’actrice Judith Godrèche dans son discours coup-de-poing aux Césars dénonçant l’omerta autour des violences sexuelles dans le monde du cinéma français, sous fond d’une nouvelle vague #metoo : « Il faut se méfier des petites filles. Elles touchent le fond de la piscine, se cognent, se blessent, mais rebondissent. Les petites filles sont des punks qui reviennent déguisées en hamster. »
Cette génération a décidé que cette fois-ci, les choses ne se passeront pas comme « le bon vieux temps ». Faites comme mon ami, parlez à vos enfants, mais surtout à vous-même. En tant qu’adultes, nous devrions nous remémorer notre propre jeunesse pour pouvoir faire mieux. Ayons l’humilité de suivre celles et ceux qui porteront notre héritage. Prenons le poids qu’ils et elles portent sur leurs petites épaules pour le mettre sur les nôtres.
Pour ma part, écouter la sagesse de celles et ceux qui construisent le monde d’aujourd’hui et de demain est une véritable lanterne sur un avenir qui se fait de plus en plus sombre.