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Le colorisme prend racine dans le racisme anti-noir, car c’est la proximité avec la «blanchité» qui est valorisée.
En 2019, une chronique publiée dans The Guardian intitulée «Pourquoi les femmes [noires] à la peau claire dominent-elles les palmarès de la musique pop ?» souligne que ce sont les Alicia Keys, Rihanna, Nicki Minaj, Mariah Carey et les Beyoncé de ce monde qui y triomphent. Le texte rapporte également les propos de Matthew Knowles, père de Queen B. Ce dernier est persuadé que si sa célèbre fille avait eu une teinte de peau plus foncée, elle n’aurait jamais pu avoir le même succès.
Ce phénomène a un nom : colorisme. C’est une forme de discrimination existant au sein des communautés noires et qui est basée sur la teinte de peau. Plus une personne noire a la peau claire, plus elle sera considérée comme belle, désirable et appréciable. Plus sa peau est foncée, plus on lui attribuera le pôle opposé et négatif des adjectifs précédemment nommés.
Le colorisme prend racine dans le racisme anti-noir, car c’est la proximité avec la «blanchité» qui est valorisée. Pour citer l’actrice oscarisée Lupita Nyong’o ayant joué dans Black Panther, «le colorisme est la fille du racisme». Au Québec, la websérie T’es Belle pour une Noire animée par Varda Étienne dissèque le phénomène qui remonte à l’époque esclavagiste avec des impacts bien contemporains.
La semaine dernière, lors du Super Bowl, Beyoncé a rendu publics deux extraits de son prochain opus, Renaissance Act II : Texas Hold Em’ et 16 Carriages. La sonorité country des deux chansons a déchaîné les passions.
La station de radio américaine exclusivement country, Oklahoma KYKC, a été vivement critiquée après avoir initialement refusé de jouer Texas Hold Em’ à la suite d’une demande d’un admirateur de la chanteuse, sous prétexte que Beyoncé ne fait pas dans ce genre musical.
D’autre part, plusieurs ont accusé la chanteuse de faire de la «musique pour Blancs». Ce n’est pas sans rappeler la controverse ayant impliqué de la pièce Old Time Road de Lil Nas X et Billy Ray Cyrus ainsi que celle autour de Daddy’s Lessons, tirée de l’album Lemonade, que Beyoncé avait interprétée avec les Dixie Chicks au 50e anniversaire des Country Music Association Awards en 2016.
Par Renaissance Act II, je présume une démarche de réappropriation d’un genre musical qui revient aux Noir·es. À cet égard, le banjo, instrument de musique country par excellence… vient du continent africain. C’est à l’époque esclavagiste en Amérique que les Blancs ont pu en entendre pour la première fois. Peu à peu, l’instrument a été retourné contre les Noir·es — notamment lors des ministrels shows du 19e siècle, là où le blackface a été popularisé — tout en les dépossédant de cet outil et de sa fonction spirituelle.
Ces accusations de faire de la « musique de Blancs » me rappellent une partie de ma jeunesse. Lorsque j’étais enfant, je jouais de la guitare et aimais le rock. Au primaire et secondaire, j’avais même pris part à plusieurs concerts avec mon école. Plusieurs de mes camarades, sans distinction de couleur, riaient de moi à gorge déployée parce que les «Noir·es ne jouent pas de guitare». Cela me faisait rire parce que visiblement, ils ne connaissaient pas Jimi Hendrix, Lenny Kravitz ou l’auteure-compositrice-interprète Tracy Chapman.
À cet égard, Tracy Chapman a fait une performance fort remarquée de son succès de 1988, Fast Car, à la soirée des Grammy’s au début du mois, en duo avec Luke Combs qui en a fait une reprise en 2023. L’ironie aura voulu que Combs reçoive une pluie de distinctions et batte des records d’écoute en ligne pour sa reprise… une reconnaissance de l’univers country qui n’a rejailli qu’envers Chapman — une femme noire et queer — qu’après que Fast Car soit reprise par un homme blanc.
Et puisqu’on parle du rock, rappelons qu’en 2022, un biopic du réalisateur australien Baz Luhrmann sur Elvis Presley, «the King of Rock and Roll», a généré des débats enflammés sur l’appropriation et l’appréciation culturelles. C’est qu’Elvis s’est très fortement inspiré de musicien·nes noir·es pour construire sa propre carrière, fait qui persiste à être méconnu.
Même son de cloche au niveau du rap queb. Dans les années 90, c’était les Dubmatique, Sans Pression, Muzion et Dramatik de ce monde qui ont été les précurseurs de ce genre musical à part entière dans la Belle Province. Pourtant, en 2024, leur apport semble avoir été effacé au profit d’un rap queb fait par des Blancs (dont j’apprécie aussi la musique, soit dit en passant).
Sans remettre en question le talent, le travail et les combats de nos pair·es, la vaste majorité des personnes noires visibles dans l’industrie médiatique et culturelle au Québec ont grandi avec des mères blanches adoptives ou biologiques. C’est sans parler de l’exclusion de celles et ceux jugés «trop noirs» pour le «grand public québécois», en raison de leur accent ou de leur nom à consonance étrangère.
De qui et de quoi parle-t-on, lorsque l’on réfère au «grand public québécois»? Nous étions pourtant une trâlée de millénariaux racisés à avoir trippé sur Mixmania au début des années 2000. Leur concert au Centre Bell était le premier auquel j’ai assisté dans ma vie.
Bien qu’elle ne devrait pas être une fin en soi, une représentation diversifiée permet de nous humaniser, dans le regard d’autrui, mais surtout dans le nôtre. Elle nous donne droit à la complexité d’être.
Par exemple, peut-on être une femme noire et ne pas aimer Beyoncé ? C’est la brillante question que posait, en 2021, l’autrice franco-camerounaise, Axelle Jah Njiké dans un balado en quatre épisodes réunissant des voix multiples des féminismes noirs francophones.
En somme, il va aussi falloir que l’on check nos privilèges même si c’est inconfortable. Il importe de décloisonner ce qu’être Noir·e veut dire, au-delà de vieux clichés dégradants et réducteurs. Il en va de l’expansion de nos champs des possibles dans nos propres esprits, au-delà de la petite boîte bien étroite dans laquelle cette société cherche à nous encabaner.
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