Les parlementaires ont tranché: le budget est adopté, l’élection est évitée. Il y avait une espèce de faux suspense depuis le dépôt du budget, puisque tous les groupes d’opposition étaient contre, mais que personne ne souhaitait déclencher une élection hivernale. Ce vote met en lumière la position délicate dans laquelle se trouve le chef de l’opposition.
On se doutait de l’issue du vote, mais nous n’étions néanmoins pas à l’abri d’un rebondissement ou d’une erreur de whip ou de mathématiques.
C’est finalement par deux voix que le gouvernement a survécu à son vote de confiance. L’appui d’Elizabeth May, quelques abstentions et absences auront permis au budget de passer.
Le gouvernement minoritaire de Mark Carney aura donc réussi à faire adopter un budget à la fois hautement déficitaire et austère, de quoi déplaire à tout le monde… mais personne n’était prêt à retourner aux urnes, ce qui explique cette espèce de pièce de théâtre: «Quel horrible budget! Quel horrible gouvernement! Nous allons voter contre le budget!».
Les conservateurs de Pierre Poilievre, réputé pour être une opposition agressive, ont l’air d’avoir aboyé très fort pour finalement se coucher. Et pendant ce temps, les Libéraux l’ont un peu trop facile…
Pierre Poilievre et le doute
Ce vote de confiance met en lumière la situation particulière dans laquelle se retrouve le chef conservateur. Pour l’instant, pas de fronde ouverte contre lui, mais une séquence d’événement a affaibli Pierre Poilievre qui semblait se diriger vers un vote de confiance de ses membres sans histoire.
À la suite d’une entrevue dans laquelle Poilievre avait déclaré que Justin Trudeau serait derrière les barreaux si la GRC avait fait son travail dans l’affaire SNC-Lavalin, des ex ont émis des critiques quant à son style abrasif et sa difficulté à s’élever au-dessus de la basse partisanerie.
Puis, deux députés ont quitté le navire : Chris D’Entremont a traversé la Chambre pour rejoindre des rangs libéraux et Matt Jeneroux a annoncé sa démission. Maintenant certains députés qui parlent sous le couvert de l’anonymat indiquent que le doute plane quant à l’idée que Pierre Poilievre est le meilleur chef pour mener les conservateurs au pouvoir.
Lancer le pilote hors de l’avion?
On peut critiquer le style et le ton du monsieur, mais les conservateurs devraient sérieusement se demander qui peut piloter l’avion AVANT de tirer sur leur pilote… Pour l’instant, personne n’émerge comme une alternative crédible et prête à prendre le relais. Après une succession rapide de chefs depuis le départ de Stephen Harper en 2015, veulent-ils vraiment encore changer ?
Il est aussi important de rappeler que les conservateurs n’ont pas si mal fait lors de la dernière élection. C’est plutôt le NPD qui s’est effondré un peu partout, leurs électeurs s’étant tournés vers l’option libérale plus rassurante, en ces temps de crise commerciale. Mais même si ce n’est pas la faute de Pierre Poilievre, les défaites ont toujours comme effet, quand elle ne met pas fin à leur parcours, d’au minimum user durablement les chefs de parti.
Pierre Poilievre doit maintenant prier pour qu’aucun autre député ne quitte le navire. Car si le gouvernement Carney devait devenir majoritaire, alors les carottes commenceraient à cuire pas mal fort.
Parce que si les conservateurs ont trois ans devant eux, sans la menace d’une élection qui peut arriver n’importe quand, ils auront l’impression d’avoir le loisir de trouver un nouveau pilote pour l’avion.
Et pour ce qui est du gouvernement Carney, il devra obtenir des gains réels avant de retourner demander aux canadiens de voter pour lui… une majorité, patentée avec des députés d’opposition grappiller, lui donnerait évidemment plus de temps pour y arriver.
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