Lors d’une entrevue menée dans le cadre du 30e anniversaire du référendum sur l’indépendance, l’ex-premier ministre Chrétien y va d’une mini-bombe :
«Le problème, c’est que les séparatistes voulaient cacher la vérité. […] Même s’ils avaient gagné par la peau des fesses, une des options que j’avais, c’est que j’avais le droit de faire un référendum moi aussi.»
On passera outre l’emploi du terme «séparatiste», sorti tout droit d’un film périmé à la sauce croque-mitaine, pour s’arrimer sur l’essentiel: le caractère saugrenu, pour dire le moindre, de la prétention. Parce que jamais, ni en 1980 ni en 1995, une telle idée d’un référendum fédéral sur le destin québécois n’aura frayé son chemin à l’oreille populaire ou avisée. Plaidant d’abondant, l’iconoclaste ajoute:
«Pensez-vous que la police provinciale nous aurait arrêtés ? La question aurait été : “Voulez-vous vous séparer, oui ou non ?” Savez-vous ce qui serait arrivé ? Le Parti québécois l’aurait boycotté, et on aurait eu 95 % des votes.»
Et concluant en bravade:
«Et s’ils s’étaient battus contre [le référendum fédéral], on aurait gagné quand même facilement. C’est pourquoi je n’étais pas aussi nerveux que les gens pensaient. Je ne voulais pas perdre. J’avais des options. Il y a toujours des solutions.»
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Pratiquement passé sous le radar, voilà le type de propos qui, pourtant, a de quoi défriser le plus cynique des démocrates. Pour divers motifs, d’ailleurs.
D’abord, que jamais Chrétien ne se sera objecté formellement du caractère élastique de la question de 1995, acceptant au contraire de jouer le jeu. Il lance même, à quelques jours du vote, un message non équivoque quant aux conséquences d’un OUI :
« Ce n’est pas seulement l’avenir du Québec qui se décidera lundi, c’est également celui de tout le Canada. C’est une décision sérieuse et irréversible aux conséquences imprévisibles et incalculables. Un Oui mène à la destruction irréversible de l’union économique et politique que nous avons actuellement, rien de plus. »
Comment, après une défaite, se plaindre d’un coup fourré souverainiste ? Dit autrement, soit tu acceptes les règles, soit tu refuses. Mais la décence la plus élémentaire, celle guidant les vraies démocrates, exige de soulever, le cas échéant, ses objections ab initio. Pas après-coup. Trop facile, bien sûr. Et parfaitement inique.
Ce qui précède s’applique aussi, et peut-être même davantage, au seuil de majorité applicable. Qui, du clan du NON, a fait alors savoir avoir un quelconque malaise quant à la règle du 50 % + 1 ? Personne. Ni avant ni pendant. Conclusion : le match se déroule selon les règles convenues. Tu perds ? Game over. Pas de deuxième match, et encore moins en solo, comme imaginé par Chrétien. Quelle légitimité, au fait, à un référendum fédéral sur le territoire québécois et boycotté par le camp du OUI ?
D’aucuns invoqueront en l’espèce, d’ailleurs, l’un des enseignements les plus névralgiques de la Cour suprême du Canada rendus lors du Renvoi sur la sécession du Québec, tenu en 1998 et ironiquement initié par le gouvernement de Jean Chrétien : l’obligation (réciproque) de négocier de bonne foi.
Certes, comme l’explique la Cour, l’obligation s’applique si question et majorité claires. Mais à charge de redite, une fois l’acceptation des règles proposées, tel Chrétien en 95, la messe est prononcée. Et on tient ensuite parole. Comme Londres lors du Brexit.
À défaut de quoi, on sera tenté de qualifier le délinquant sinon de tricheur, au moins de malhonnête.
Parce que l’avenir d’une nation, nonobstant nos préférences, requiert du noble, de la hauteur ou du fair-play, pour le dire en anglais.
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