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Qui a décidé un jour de verser de la chair de citrouille en poudre ou en liquide sirupeux dans un café?
Une histoire vraie de l’Halloween. Nous sommes en droit de nous poser la question. Mais qui a décidé un jour de verser de la chair de citrouille en poudre ou en liquide sirupeux dans un café? Qui? Ce n’est certainement pas le café lui-même. Il a bien trop de classe pour s’infliger une telle saveur plus que discutable. À quoi bon se faire torréfier pendant des heures si c’est pour finir en partageant un vulgaire gobelet en carton avec de la saveur de potiron? Le grain de café ne vaut pas la peine d’être vécu.
On chuchote dans les messes noires des Cantons-de-l’Est que ce serait une idée du diable lui-même. Tout aurait commencé sur la ferme d’un dénommé Télésphore Tremblay. On ne sait pas trop où se situait exactement sa ferme, mais mettons que Tremblay, ça sonne Charlevoix ou Saguenay–Lac-Saint-Jean. Toujours est-il que Télésphore faisait pousser de la citrouille sur sa ferme entre deux-trois rangs de patates et de navets.
Rien pour virer fou, mais assez pour en vendre dans son kiosque sul’ bord de la route et donner la chance aux petites familles de venir staller leurs enfants sur une citrouille, le temps d’une photo Facebook. Ses potirons de l’Halloween jouissaient d’une excellente réputation. De bonne grosseur, pas bossu du tout et avec une chair délicate et goûteuse que tout le monde mettait au compost quand même parce que personne ne sait comment cuisiner ça.
Les gens les achetaient uniquement pour les décorer pour le soir de l’Halloween. Ensuite, ils les refilaient aux ratons laveurs du coin qui n’en mangeaient pas vraiment non plus parce que ça restait coincé dans leurs dents d’en arrière et ils détestaient ben gros le feeling.
Toujours est-il qu’un beau jour venteux de septembre, Rita, la femme de Télésphore, était au champ en train de ramasser du navet quand tout à coup, une grosse rafale de vent déracina l’épouvantail des Tremblay et il tomba directement sur Rita. Comme on dit dans le domaine de l’agriculture, sa tête s’effoirra comme une tomate trop mûre qui a été oubliée dans le bas d’un plant. On va se le dire, l’épouvantail ne l’avait pas manqué.
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Télésphore était inconsolable. Surtout que sa femme lui avait répété des centaines de fois, bon peut-être cinq fois, que l’épouvantail n’était pas solidement planté dans le sol et qu’un jour, il sacrerait le camp à terre. La seule chose qu’elle n’avait pas prévue, c’était que son crâne serait sur la trajectoire de chute de l’épouvantail.
Le lendemain des funérailles de Rita, par un soir d’orage, Télésphore était en train de descendre une bouteille de sa vodka de patate personnelle qu’il faisait en toute illégalité dans sa cave anti-tornade. Cette cave anti-tornade qu’il avait transformée en alambic, puisqu’il n’y avait vraiment pas de tornade dans son coin.
Tout en pleurant à chaudes larmes et il prononça les mots fatidiques : que le diable m’entende. Si tu ressuscites ma Rita, je te vends mon âme. Aussitôt, il entendit des bruits de sabots sur le bois de sa véranda puis ça se mit à varger en fou à la porte. Télésphore ouvrit la porte pour découvrir le diable lui-même.
On ne pouvait pas vraiment se tromper parce que c’était un grand homme rouge avec d’immenses cornes noires et des sabots à la place des pieds. Il avait quand même une petite laine sur les épaules parce que la température était plutôt froide pour un soir de septembre. Je veux dire quand tu vis tout près d’une rivière de lave, tu as le frisson facile. Tout ça pour dire que c’était clair que c’était le diable en personne.
Télésphore était en train de se dire que sa vodka avait trop fermentée quand l’homme cornu pris la parole. Sa voix était basse et son haleine dégageait une odeur de bacon trop cuit comme dans les casse-croûtes sul bord de la route.
Il était évident que le diable avait dégusté une cuisse de damné bien rôti juste avant d’entendre l’appel du fermier. Il dit : Télésphore. Garde ton âme pour toi. Mais, je te rends ta Rita avec sa tête refaite si tu me donnes toutes tes citrouilles et que jusqu’à la fin de tes jours, tu me donnes toute ta production de ce fruit infecte. J’ai un projet de citrouille.
Télésphore était plutôt sceptique, mais en même temps, il se trouvait gagnant sur toute la ligne. Il retrouvait sa Rita et en plus, il se débarrassait de ces maudits fruits là pas mangeables. Télésphore serra la main griffue du diable qui avait somme toute une belle manucure pour un gars qui fourche du monde dans les abysses infernaux.
Mais vous connaissez la procédure, la poignée de main, ce n’est pas suffisant. Ils ont aussi signé un contrat avec leur sang respectif. Le diable allait partir quand Télépshore lui demanda : mais qu’est-ce que vous allez faire avec les citrouilles ? C’est quoi votre projet ?
Le diable se retourna vers le fermier et dit : je vais vendre ça à des chaînes de café, pis eux autres, y vont mettre ça dans leur café entre fin août et fin octobre. Et je vais damner la poudre de potiron. Chaque fois qu’une personne va boire un latté à la citrouille, ça va aspirer un tit boute de son âme. Et quand toute son âme sera siphonnée, je vais venir les cueillir dans leur sommeil. Ça va me faire un bon roulement de staff pour l’enfer.
Télésphore émit un grand rire. Ça ne pognera jamais ton affaire. De la citrouille dans du café. ARK ! Faudrait avoir les papilles gustatives en jachère pour aimer ça. Le diable planta ses yeux dans ceux de Télésphore et trancha : j’ai déjà envoyé des coupons rabais à des influenceurs. J’ai acheté des partenariats avec eux autres. Ma fille Taylor Swift va en boire dans des stories Tik Tok. On va même vendre du sirop orange à saveur de citrouille dans une bouteille en plastique dans les épiceries. Mon fils Martin Matte va en faire la promotion dans une pub télé pleine de jeux de mots douteux.
Si ça a marché pour le lait de poule, ça va marcher pour le latté à la citrouille. Les gens vont adorer ça même s’ils n’aiment pas le goût parce que ça va être LA GROSSE MODE !
Le diable commença à se creuser un trou dans le gazon pour retourner chez lui en poussant un grand rire de démon du diable diaboliquement démoniaque et épeurant qui glaça le sang de Télésphore.
Depuis ce temps, Télésphore a retrouvé sa Rita qui elle, est incapable de voir une tomate en peinture. Il est heureux, mais chaque fois qu’il croise une jeune étudiante qui sirote un latté à la citrouille, il prie pour son âme.
Et maintenant, irez-vous commander la boisson du diable chez le gobelet de la sirène ?
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