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Depuis la fin juillet, l’annonce de Harris comme candidate à la présidence a galvanisé les troupes démocrates.
Les élections américaines auront lieu en novembre prochain et à quelques mois du scrutin — une éternité en politique — nous ne sommes vraiment pas en manque de rebondissements.
En juin dernier, l’ex-candidat démocrate Joe Biden a renoncé à sa candidature à la présidence après une performance qualifiée de catastrophique lors du premier débat l’opposant à son rival républicain, Donald Trump. Aussitôt après avoir capitulé, il a jeté son dévolu sur Kamala Harris pour sauver la mise de son parti.
En 2021, Harris est devenue la première femme noire et asio-américaine, vice-présidente des États-Unis. Bien qu’elle ait marqué l’histoire, Harris était jusqu’ici restée somme toute dans l’ombre de Joe Biden. Or, depuis la fin juillet, l’annonce de Harris comme candidate à la présidence a galvanisé les troupes démocrates : des appuis de taille au sein du parti en plus d’une collecte de fonds de 310 millions de dollars en l’espace de quelques semaines.
En tant que pionnière, Kamala Harris a fait face — et continuera de faire face — à des attaques auxquelles des hommes blancs dans le même rôle n’auront jamais à subir. Or, bien que l’on puisse reconnaître ces doubles standards racistes et sexistes, aucune personne en posture de pouvoir ne devrait être à l’abri de critiques en raison de son genre ou de sa « race ».
Forgé par la chercheuse afro-américaine queer Moya Bailey, le terme « misogynoire » réfère à une forme de discrimination spécifique ciblant les femmes noires. Critiquer le sourire et la bonne humeur de Kamala Harris — ce qui n’est pas sans rappeler les remontrances faites envers Valérie Plante, première mairesse de Montréal —, insinuer, à tort, qu’elle occupe ce poste parce qu’elle ne serait qu’une « embauche équité-diversité-inclusion » malgré une feuille de route bien garnie, en sont des exemples.
Comme beaucoup d’autres pionnières ayant brisé des plafonds de verre avant elle, la falaise de verre — un terme mis de l’avant par les chercheurs en psychologie Michelle K. Ryan et Alexander S. Haslam en 2005 — guette aussi la candidate démocrate. Il a été maintes fois démontré que les femmes tendent à être nommées à des postes de leadership dans des institutions en crise et surtout, lorsque les hommes ne se bousculent pas au portillon pour en assurer la direction. En raison de ces conditions peu favorables, ces pionnières se retrouvent avec un risque accru d’échec et d’être tenues comme seules responsables de celui-ci lorsqu’il se produit.
Bien qu’elle ait été érigée comme une icône progressiste au cours des dernières semaines, Kamala Harris se retrouve plutôt au centre politiquement parlant à l’instar de Barack Obama.
En 2016, Barack Obama s’est rendu à Flint au Michigan, aux prises avec de sérieux soucis d’accès à l’eau potable après avoir déclaré l’état d’urgence dans cette municipalité. Pour démontrer que l’eau était propre à la consommation, Barack Obama a décidé d’en prendre un verre devant les caméras des journalistes. Son geste a choqué de nombreux résidents noirs — en forte concentration dans cette communauté — surtout considérant que la situation demeure quasi inchangée.
Quant à Kamala Harris, son approche en matière de justice du temps où elle était procureure pour l’état de la Californie tout comme sa réponse incisive lors d’un très récent rassemblement à des manifestants propalestiniens : « si vous voulez que Donald Trump gagne, et bien dites-le ! » ont provoqué de nombreux débats au sein et au-delà des communautés noires, à juste titre.
À une ère où les crises (sociales, économiques, sanitaires, politiques et écologiques) s’aggravent, voter pour « the lesser of two evils » est une tactique qui semble avoir atteint son point de rupture chez nos voisins du Sud et ailleurs.
Cet été, en France, la coalition de gauche du Nouveau Front populaire a bloqué de justesse une percée historique du Rassemblement national (RN) qualifié de parti d’extrême droite lors d’élections législatives anticipées, après la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron. Une stratégie à l’image de 2022 et de 2017, où Emmanuel Macron a remercié les électeurs ayant voté pour lui pour « faire barrage à l’extrême droite ».
Collectivement, nous avons tout à gagner à saisir les opportunités que représentent les désaccords. Même s’il y aura toujours des individus de mauvaise foi, et même s’il semblerait que les « Québécois n’aiment pas la chicane », lorsqu’on respecte l’intelligence de son interlocuteur, on lui parle avec vérité. Celles et ceux qui s’expriment sur le risque avéré d’une falaise de verre ne devraient pas être systématiquement taxés d’être des « divulgâcheurs de party », « de nuire à la cause » ou de vouloir briser les rêves de fillettes en quête légitime de représentation.
La démocratie, c’est aussi remettre en question le sacré principe de « ligne de parti » qui muselle de nombreux politiciens-es québécois tout en sapant l’expansion de notre champ des possibles. Par ailleurs, de nombreux partis fédéraux devront également se poser ces questions d’une importance cruciale à l’aube des élections canadiennes de 2025.
Mettre en lumière des réserves quant à la candidature de Kamala Harris, ce n’est pas être « difficile » ou « incontrôlable »…des qualificatifs qui paradoxalement ont été injustement utilisés contre elle. Face à ce portrait de l’échiquier politique en France, aux États-Unis et au Canada, j’en comprends que les forces progressistes doivent redéfinir le sens du mot « contre-pouvoir ». Personne n’a de réponse simple à cela, mais à mon humble avis, ça doit commencer par l’introspection.
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