La semaine dernière, Jean-François Roberge a présenté deux annonces en parallèle. D’un côté, Québec réclame à Ottawa le remboursement des frais liés à l’accueil des demandeurs d’asile, soit 733 millions de dollars pour la dernière année. Ces coûts atteignaient 1 milliard l’an passé. Mais surtout, le ministre a réitéré son intention de réduire le panier de services offerts aux demandeurs d’asile, notamment en limitant l’aide de dernier recours et certains bénéfices actuels. Son objectif est simple. Faire en sorte que le Québec soit «moins attrayant».
À première vue, les chiffres semblent appuyer l’idée qu’il y a un enjeu global. En juillet 2025, 5785 demandes d’asile ont été déposées au Québec. Cela représente 46 % de l’ensemble des demandes au Canada, alors que la province compte 22 % de la population. La disproportion est réelle.
Mais en s’attaquant à l’aide de dernier recours, le gouvernement laisse entendre que l’accès à l’aide sociale serait une raison majeure expliquant pourquoi les demandeurs d’asile viennent ou restent ici. Or cette perception repose sur très peu d’éléments concrets. Avant d’avancer une telle hypothèse, plusieurs questions doivent être éclaircies.
Avons-nous des données qui soutiennent cette idée?
L’affirmation voulant que les demandeurs d’asile préfèrent rester sur l’aide de dernier recours plutôt que d’intégrer le marché du travail mérite mieux qu’une impression. Elle doit être documentée. Le ministre a évoqué que 50 % des gens sur l’aide de dernier recours possédaient un permis de travail.
Ce chiffre a ensuite été démenti par son propre cabinet, qui a indiqué que ces données «n’étaient pas disponibles». Résultat. La position ministérielle repose sur une intuition non étayée, sans information précise sur le nombre de personnes réellement visées, l’économie anticipée ou les effets pervers potentiels.
Cela donne une impression d’improvisation qui fragilise la démarche. Si le gouvernement veut aller de l’avant, il devra démontrer que les faits appuient sa mesure. Autrement, il s’expose à un déficit de crédibilité.
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L’enjeu est-il vraiment financier?
Québec demande 733 millions de dollars à Ottawa pour couvrir les coûts liés aux demandeurs d’asile. L’an dernier, la facture de 1 milliard avait conduit le gouvernement fédéral à rembourser 750 millions.
Les montants sont importants, mais ils ne suffisent pas à expliquer la réaction politique actuelle. Le contrôle des frontières relève d’Ottawa et c’est le gouvernement du Canada qui a signé les conventions internationales sur le statut de réfugié. Québec est donc légitime de réclamer un remboursement. Mais le débat dépasse largement l’enjeu budgétaire. Ce n’est pas le cœur du problème.
Quelles solutions sont disponibles?
Pour travailler, les demandeurs d’asile ont besoin d’un permis délivré par le fédéral. Les délais varient de 1,5 à 6 mois selon les dossiers. Durant cette période, la majorité demeure sur l’aide de dernier recours, faute d’avoir le droit de travailler. La véritable solution se trouve là. Dans l’accélération de l’émission des permis de travail et dans l’accompagnement linguistique.
Québec solidaire propose de délivrer le permis dès l’arrivée. L’idée est solide. Elle permettrait de réduire la dépendance à l’aide de dernier recours en quelques semaines.
Parallèlement, une francisation plus rapide et mieux déployée permettrait d’utiliser ces mois d’attente pour offrir des cours utiles, afin que les demandeurs puissent entrer sur le marché du travail dans la langue commune. Deux, quatre ou six mois de francisation peuvent transformer la capacité d’intégration. Le reste viendra par la vie quotidienne, le travail et les interactions sociales.
L’attractivité, ce n’est pas ce qu’on pense
Il faut aussi rappeler un principe fondamental. L’attractivité n’est pas censée être un problème. Elle ne se résume certainement pas à la générosité du filet social. Un demandeur d’asile fuit un danger. Il choisit un endroit où sa vie pourra reprendre. Oui, la sécurité économique compte. Mais la décision se fonde sur une multitude d’autres critères. La langue, l’emploi, la stabilité politique, la réputation internationale, l’ouverture de la société. Ces facteurs sont déterminants.
J’ai une mauvaise nouvelle pour le ministre Roberge. Couper un chèque ne changera rien à l’attrait du Québec. Mes parents hésitaient entre le Québec et l’Australie. Leur choix a été influencé par un programme social autant que par la météo clémente !!
Le Canada jouit d’une réputation enviable. C’est un pays stable, ouvert, où les droits sont respectés et où les occasions de réussite sont nombreuses. Le Québec ajoute à cela une dimension humaine et culturelle unique. Des réseaux déjà présents. Un marché de l’emploi solide. Une métropole cosmopolite, vivante et considérée comme sécuritaire à l’international.
On pourra retirer l’aide de dernier recours, réduire les compléments de revenu ou revoir l’accès aux CPE pour les demandeurs d’asile. Le Québec restera malgré tout une destination convoitée. Les Québécois continueront d’être reconnus pour leur accueil et leur ouverture. C’est ancré dans notre histoire et dans notre identité. Aucun gouvernement ne pourra changer cela.
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