Automne 2020. La juge de la Cour suprême Ruth Ginsburg, idole des progressistes américains, décède, et en moins de deux, Donald la remplace par Amy Barrett, ouvertement appuyée par la droite religieuse radicale. On savait dès lors, que la game venait de changer. Que l’ensemble des droits fondamentaux, et la conception classique longtemps éprouvée d’une démocratie, seraient potentiellement en péril. Parce qu’avant Barrett, auront été nommés à la Cour suprême le très conservateur Neil Gorsuch et, surtout, Brett Kavanaugh, catho en mission avouée contre les droits à l’avortement et mariage gai.
Électoralisme en filigrane, Donald n’aura pas été trop pénible à convaincre. Désormais confortablement majoritaires, ses appuis à la Cour suprême lui auront depuis fait cadeau d’une immunité toute providentielle, ainsi qu’à une multitude d’autres passe-droits jamais vus avant aujourd’hui, tout ceci à discuter dans une chronique prochaine.
Mais l’objectif ultime d’alors, du moins à court terme? Le renversement du célèbre arrêt Roe c. Wade, datant de 1973, et assurant le droit à l’avortement à l’échelle nationale. Mission accomplie, et assez sauvagement, à part ça : «La Constitution américaine ne garantit pas le droit à l’avortement», écrit bêtement le juge (ultra) conservateur Alito, catapultant ainsi le principe de Roe — d’ailleurs reconfirmé en 1992 — aux oubliettes. Il appartiendra maintenant aux 50 États, s’ils le souhaitent, de légiférer sur la question.
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Et ça ne devait pas tarder. La Louisiane, le Texas et le Missouri, lesquels s’étaient dotés de «loi-gâchettes» en prévision du renversement de Roe, ont immédiatement activé celles-ci après la décision de la Cour, annulant ainsi ipso facto tout avortement prochain. Pour le procureur général de la Louisiane, saluant ladite décision : «Aujourd’hui, avec des millions de personnes, je me réjouis avec ma maman décédée et avec les enfants à naître qui sont avec elle au paradis!».
Joie similaire du côté de Mike Pence, l’ancien vice-président de Trump, lequel en appelle maintenant à une interdiction nationale. Divers groupes militants pro-vie emboîtent le pas, admettant l’objectif avoué de retourner éventuellement devant la Cour suprême, cette fois afin de faire garantir aux fœtus les mêmes droits qu’une personne, ceci cataloguant l’avortement au rang de meurtre pur et simple.
Sans surprise, et surfant sur la manne de cet enthousiasme débordant, circulent ensuite une multitude de projets de loi aux saveurs infectes, mais qui seront néanmoins adoptés sans trop de controverse, ou presque. C’est ainsi qu’aujourd’hui, 13 États interdisent toute forme d’avortement, incluant, pour 11 d’entre eux, les cas de viols ou… d’inceste. Six autres restreignent sa portée (parfois jusqu’à rendre le droit illusoire), et cinq autres États sont en processus d’interdiction à divers degrés, lesquelles sont, selon le cas, actuellement contestées devant les tribunaux.
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Sitôt de retour au pouvoir, en janvier dernier, Trump envoie un message d’appui aux militants « pro-vie » en abrogeant deux décrets démocrates visant à protéger certains accès à la santé reproductive des femmes. Refusant de s’arrêter en si bon chemin, Donald s’adresse aux dizaines de milliers de personnes manifestant devant la Maison-Blanche : « Pendant mon second mandat, nous nous battrons à nouveau fièrement pour les familles et la vie. Nous protégerons les acquis historiques que nous avons obtenus. » Au même moment, son ministre des Affaires étrangères, Marco Rubio, interdit toute subvention américaine à l’avortement à l’international.
Une débandade annoncée, quoi, avec les histoires d’horreurs que l’on pouvait aisément anticiper:
En Ohio, Britanny Watts fait une fausse couche dans la salle de bain de son domicile, et est ensuite criminellement accusée d’avoir…. profané un cadavre.
Après que la Cour suprême américaine (encore elle) a confirmé la validité constitutionnelle de l’interdiction, au Texas, de procéder à des avortements d’urgence, Josseli Barnica meurt devant les yeux du personnel soignant, après une agonie de 40 heures due à une interminable fausse couche. La raison? La crainte de l’emprisonnement, pouvant aller de 5 à 99 ans pour un médecin participant à l’avortement honni. Selon l’expertise post-mortem, une simple dilatation ou curetage aurait suffi à sauver la patiente.
Toujours au Texas, Nevaeh Crain, 18 ans, se tape trois visites (et 20 heures) consécutives à l’urgence, en douleurs, du sang lui coulant tout au long des hanches : « Faites quelque chose !! », pleure-t-elle. Alors que les tests confirment, lors de la deuxième consultation, une infection potentiellement mortelle, le cœur du fœtus de six mois, lui, bat toujours. On la renvoie ainsi chez elle. À la troisième visite, même test : cette fois, le fœtus est mort. On peut enfin procéder au traitement de son infection. Mais trop tard. Crain, lèvres bleues, vient de décéder.
Pour la petite histoire, 10 autres États prévoient également l’emprisonnement, avec variation sur peine. Mieux encore : compte tenu de l’imprécision normative, c’est-à-dire l’absence de clarté des lois applicables sur le moment où ils peuvent réellement intervenir, plusieurs médecins, ne souhaitant en aucun cas prendre de risques, laissent la patiente frôler la mort, pour ensuite tenter de la réanimer, et (enfin) la soigner.
Vous y êtes encore? Ok. Une dernière : au moment d’écrire ces lignes, le Dakota du Nord, l’Indiana, la Caroline du Sud et l’Oklahoma étudient, discutent de l’adoption de projets de loi assimilant l’avortement à un… meurtre.
Et trois de ces quatre États appliquent encore, en 2025, la peine capitale.
Do the math.
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