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Pourquoi le projet visant à inscrire le droit à l’avortement dans la constitution québécoise inquiète

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A protestor shouts Une manifestante interpelle les participants à la Marche pour la vie sur la Colline du Parlement à Ottawa, le 12 mai 2022.

Des groupes de la société civile avertissent que le projet du gouvernement Legault d’inscrire le droit à l’avortement dans la constitution proposée du Québec pourrait avoir des conséquences imprévues.

Mais le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, affirme que l’objectif de cette mesure législative est de protéger ces droits, ajoutant qu’il craint que les tribunaux futurs ne renversent les décisions qui confirment actuellement le droit d’interrompre une grossesse.

Ce texte est une traduction d’un article de CTV News.

Son affirmation est-elle donc valable? Et où en est le droit à l’avortement au Canada aujourd’hui?

Le droit à l’avortement au Canada

Au Canada, les droits reproductifs des femmes sont protégés par la jurisprudence plutôt que par la législation fédérale. En fait, avant 1988, l’avortement était criminalisé à l’échelle nationale.

Cela a changé lorsqu’un arrêt historique de la Cour suprême du Canada — R. c. Morgentaler — a conclu que les lois sur l’avortement du Code criminel violaient le droit des femmes à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Depuis lors, aucune loi n’interdit ni n’autorise l’interruption volontaire de grossesse.

Plusieurs tentatives ont été faites pour codifier l’avortement, mais aucune n’a abouti.

Il est également important de noter que lorsque le Québec a mis à jour son Code civil au début des années 90, il a créé quelques droits liés à l’enfant à naître, mais ceux-ci ne s’appliquent qu’une fois que l’enfant est né vivant.

Au Canada, l’avortement est donc légal et considéré comme faisant partie des soins de santé courants prodigués par les médecins.

Que se passerait-il si l’avortement était inscrit dans la loi?

L’avocat Rémi Bourget, vice-président du Barreau du Québec, l’ordre professionnel des avocats de la province, a déclaré qu’en matière d’avortement, le proverbe «Si ça marche, ne changez rien» s’applique.

«Notre crainte est la suivante: une fois que vous aurez inscrit cela dans la loi, et ils peuvent l’appeler constitution s’ils le souhaitent, la vérité est qu’ils l’adopteront comme n’importe quelle autre loi. Et ils pourraient la modifier comme n’importe quelle autre loi à l’avenir», a expliqué M. Bourget.

«Nous ne pensons donc pas que cela offrira une réelle protection. À l’heure actuelle, selon la jurisprudence de la Cour suprême, le droit des femmes à l’avortement est garanti par la Charte des droits, qui fait partie de la Constitution canadienne et qui est pratiquement impossible à modifier. Mais la Constitution québécoise qu’ils veulent adopter pourrait être modifiée comme n’importe quelle autre loi à chaque fois que nous changeons de gouvernement.»

—  - Me Rémi Bourget, vice-président du conseil d’administration du Barreau du Québec

Cela pourrait-il ouvrir la voie à de futures contestations ?

M. Bourget a souligné que légiférer sur l’avortement donnerait aux groupes anti-avortement l’occasion de contester cette disposition devant les tribunaux et d’essayer d’en restreindre l’accès.

«Cela donne un moyen de pression à tous les groupes qui veulent lutter contre cela. Ils peuvent dire: “Maintenant, il y a une loi, nous pouvons la contester.” Aujourd’hui, ils n’ont rien à cibler. Donc, en leur donnant quelque chose à attaquer, on fait en quelque sorte un cadeau aux opposants aux droits des femmes et aux droits reproductifs», a affirmé M. Bourget.

Cette préoccupation est partagée par les groupes pro-avortement et les associations médicales, notamment le Collège des médecins du Québec, qui a publié dans Le Devoir une lettre ouverte signée par plus de 400 médecins exhortant M. Jolin-Barrette à supprimer la référence à l’avortement du projet de loi.

«Toute loi sur l’avortement finit par être une loi contre l’avortement. Ce qui était pensé comme un plancher devient… un plafond : une limite à attaquer, à restreindre — le rêve des anti-choix.»

Jess Legault, coordinatrice générale de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), qui milite pour le droit à l’avortement, a indiqué que son organisation avait consulté directement le ministre de la Justice au cours de l’été, soulignant que l’avortement devait rester dans la sphère médicale.

«L’avortement existe simplement dans la loi sur les soins de santé en tant que procédure médicale, et il n’a donc pas besoin d’être protégé de manière particulière ailleurs», a expliqué Mme Legault.

Les partis d’opposition se sont également joints à cette initiative, demandant au gouvernement de supprimer cette mesure.

«La menace qui pèse sur le droit à l’avortement nous préoccupe réellement, et nous voterons contre cette mesure», a soutenu Marc Tanguay, député libéral du Québec et porte-parole du parti en matière de santé.

Québec solidaire a déposé une motion, avec le soutien des libéraux et du Parti québécois, demandant à la Coalition Avenir Québec de revenir sur sa position, mais le gouvernement a refusé de donner son consentement, empêchant ainsi le débat sur la motion.

L’avortement au Canada par rapport aux États-Unis

Dans une récente entrevue, Georges Buscemi, membre du groupe anti-avortement Campagne Québec-Vie, a dit que l’inclusion de l’avortement dans la Constitution québécoise en ferait une cible tangible, à l’instar des «Américains qui ont dû lutter contre l’arrêt Roe v. Wade».

Mais le débat sur l’avortement est très différent au Canada, a souligné M. Bourget.

«Aux États-Unis, l’arrêt Roe c. Wade a été rendu en 1973, près de 20 ans avant Morgentaler», a-t-il précisé.

«Les opposants s’y sont organisés et ont lutté de toutes les manières possibles, année après année, jusqu’à ce que la Cour suprême déclare que la question relevait des États. Et aujourd’hui, dans de nombreux États, les femmes ont perdu ce droit. Ce type de lutte soutenue n’a tout simplement pas eu lieu au Canada.»

Avec des informations provenant de Kelly Greig, de CTV News, et de la Presse canadienne.