Pertes financières, lenteur du système, des dizaines de clics nécessaires et des informations erronées. La liste des difficultés rencontrées par des partenaires de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) en raison de la transformation numérique ratée est longue, selon un enquêteur de la commission Gallant.
Michel Comeau a présenté vendredi après-midi devant la commission les résultats de l'enquête de son équipe. Les enquêteurs ont rencontré des représentants d'organismes qui font affaire avec la SAAQ et qui ont été affectés par le déploiement du projet CASA/SAAQclic. Corps policiers, concessionnaires automobiles, contrôleurs routiers et cours municipales sont notamment du nombre.
L'un des impacts décrits par l'enquêteur concerne la fiabilité des données, comme les informations fournies à la lecture des plaques d'immatriculation. La SAAQ alimente la base de données du Centre de renseignements policiers du Québec, touché par la transformation numérique.
M. Comeau a raconté le cas d'un véhicule intercepté par des policiers qui avait été identifié comme volé.
«Quand le véhicule a été intercepté, les policiers ont pris les précautions. Ils ont mis en joue les conducteurs, leur ont demandé de sortir et les ont couchés à terre. Et c'était un garçon qui sortait de l'hôpital pour un traitement de cancer avec sa mère», a exposé l'enquêteur.
«Il y a eu des excuses. Par contre, c'est vraiment dramatique», a-t-il poursuivi.
M. Comeau a également relaté la situation chez les contrôleurs routiers. Avec le nouveau système, ils ont vu le nombre de clics nécessaires pour obtenir de l'information bondir de manière importante, passant de 5 à 35.
«Leur système est déficitaire et il ne va pas bien», a dit M. Comeau.
Selon l'enquête de la commission, plusieurs des organismes rencontrés ont dit avoir perdu confiance en la SAAQ et ont reproché à la société de les avoir informés tardivement sur la transformation numérique.
M. Comeau a indiqué que plusieurs des problèmes rapportés ont été réglés ou en partie, mais il en reste qui sont non résolus. Il a également précisé que les constats de l'enquête ne «constituent qu'un échantillonnage des problématiques et impacts découlant du déploiement» du projet.
«Quasiment des débuts d'émeute»
Plus tôt vendredi, un vice-président de la SAAQ a décrit le climat dans les points de service lors des premières semaines du déploiement raté de SAAQclic.
Si au départ les clients se montrent compréhensifs, la situation a ensuite «dégénéré», selon Jean-Philippe McKenzie, vice-président à l'accès sécuritaire au réseau routier de la SAAQ, de qui relèvent les points de service.
«Il a commencé à y avoir des comportements où les employés se faisaient crier après. On était obligé de faire intervenir la police parce qu'il y avait des fois quasiment des débuts d'émeutes dans les files d'attente», a-t-il raconté.
Des employés étaient aussi confrontés à des «propos d'une vulgarité insensée», a ajouté le vice-président.
«On a fait intervenir trop souvent la police pour des situations qui étaient inacceptables», a-t-il dit.
Dès les débuts en février 2023, des employés se sentaient impuissants devant les difficultés de servir les clients. «L'état des troupes, c'est des groupes en détresse, des gens qui pleurent. Des gestionnaires qui quittent et qui demandent de l'aide», a évoqué M. M. McKenzie.
Des ressources de plusieurs autres départements de la SAAQ ont été appelées en renfort dans les points de service, en plus de retraités. «Le mot va être fort, mais c'était un plan de conscription. Il n'y avait pas un secteur qui pouvait dire non», s'est souvenu M. McKenzie.
Divers autres types de ressources et de mesures ont également été déployées sur le terrain pour affronter la crise. «La priorité, c'était de rétablir les services à la clientèle coûte que coûte sans égard aux coûts», a soutenu le vice-président.
Il ignorait les bogues
M. McKenzie a dit qu'il «aurait posé davantage de questions» aux firmes informatiques s'il avait été mis au courant des nombreuses anomalies détectées quelques mois avant le lancement de SAAQclic.
Il affirme avoir appris lors du témoignage d'un ancien auditeur interne de la société d'État que les bogues s'accumulaient vers l'été ou l'automne 2022 au moment des périodes d'essai.
«J'aurais aimé savoir ces éléments-là en 2022, pas en 2025», a-t-il dit.
Malgré les difficultés persistantes, le feu vert avait été donné à la mise en service de la plateforme, a raconté l'ancien vérificateur interne Vincent Poirier, devant la commission en mai dernier. Il a relaté avoir prédit à l'époque un lancement à l'image des «Grands feux Loto-Québec».
«Ça va péter de partout», avait prévenu M. Poirier à son patron de la vérification interne.
Interrogé par l'avocate de la SAAQ, Audrey Gagnon, M. McKenzie a assuré n'avoir jamais été informé par les auditeurs internes de ces problématiques à l'époque.
«J'étais un nouveau vice-président nommé en septembre (2022). Si l'équipe avait identifié des risques suffisamment graves, qui se sont concrétisés en partie, j'aurais aimé le savoir en amont», a affirmé le cadre.
«Auriez-vous été en mesure d'arrêter tout ça si vous aviez eu l'information? Êtes-vous suffisamment haut dans l'organisme pour arrêter ça?», a demandé le commissaire Denis Gallant.
«On aurait posé davantage de questions sur les essais. On aurait demandé davantage de suivis. C'est sûr», a répondu M. McKenzie. La veille, il a témoigné que, lors de la réunion où le feu vert a été donné, les représentants du consortium étaient confiants et n'avaient fait part d'aucun problème important.
À ce jour, il reste des incidents informatiques, dont certains sont «dans la vie normale d'une solution» technologique, a mentionné M. McKenzie.
Après trois semaines d'audiences publiques à Montréal, la commission déplacera ses travaux à Québec à compter de lundi prochain.

