L’ex-bras droit de François Legault au ministère du Conseil exécutif, Yves Ouellet, a démenti avoir été informé en septembre 2022 d'un manque à gagner de plus de 200 millions $ pour la plateforme SAAQclic.
M. Ouellet a témoigné mercredi matin à la commission Gallant, au lendemain du passage du premier ministre et de son directeur de cabinet, Martin Koskinen.
Il a contredit la version de l'ex-PDG de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), Denis Marsolais, selon laquelle ce dernier l'aurait informé d'un extra de 222 millions $ lors d'une rencontre le 7 septembre 2022.
M. Ouellet a relaté qu'au cours de cette réunion, il a été question de l'avancement de la plateforme SAAQclic, dont le lancement était prévu quelques mois plus tard. Le budget et l'échéancier sont abordés.
«Je parle toujours de budget. Ce qui est clair, il n'a jamais parlé de 200 millions $. Les voyants rouges auraient allumé. Il n'a jamais parlé de dépassements de coûts. Le tableau de bord au complet aurait allumé. C'est une évidence», a déclaré M. Ouellet.
«Le mot dépassements de coûts n'a jamais été prononcé», a-t-il réitéré plus tard.
«Et s'il avait été prononcé?», lui a demandé le procureur en chef de la commission, Simon Tremblay. «On arrête le meeting, on veut comprendre ce qui se passe», a répondu M. Ouellet.
Comme secrétaire général, M. Ouellet était le plus haut fonctionnaire de l’État et travaillait directement sous l’autorité de M. Legault. Il a occupé ces fonctions de 2018 à 2023 avant de devenir le président-directeur général de l'Autorité des marchés financiers.
Pour appuyer ses dires, M. Ouellet a fourni à la commission un courriel faisant un suivi de sa rencontre avec M. Marsolais, le lendemain. Le document exhibé mercredi ne fait aucune mention de la stratégie contractuelle du projet informatique nommé CASA.
M. Marsolais voit son témoignage de juin dernier devant la commission Gallant remis en question pour une deuxième fois. Un conseiller politique du ministre François Bonnardel a affirmé ne pas avoir de souvenir que l'ancien dirigeant de la SAAQ l'a prévenu d'un dépassement de coûts de 222 millions $ en 2022.
Alain Généreux a témoigné en août dernier qu'il aurait posé des questions s'il avait été mis au courant d'un tel extra.
M. Ouellet a eu d'autres discussions ou rencontres avec la direction de la SAAQ dans les mois et les semaines précédant le lancement de la plateforme SAAQclic en février 2023.
Il s'est souvenu que, lors d'une présentation en novembre 2022, le vice-président aux technologies de l'information de l'époque, Karl Malenfant, se fait rassurant sur l'état du projet, alors que certains indicateurs sont au rouge.
«Il était très solide. Il avait de bonnes réponses. Il connaissait bien le projet. (...) Il avait des réponses à toutes les questions», a affirmé M. Ouellet. Selon lui, M. Malenfant n'a jamais laissé entendre qu'il y avait un angle mort ou un risque relié au projet.
La veille du lancement, M. Ouellet a reçu un texto de M. Marsolais lui disant qu' «à ce moment, tous les signaux sont au vert».
Des développeurs méconnaissaient la SAAQ
Un architecte de développement de la SAAQ est venu témoigner mercredi après-midi des difficultés rencontrées dans la conception de SAAQclic. Christian Langlois a indiqué qu'une partie du travail a été menée en Inde par des développeurs connaissant le progiciel de la firme SAP.
Toutefois, plusieurs d'entre eux «ne comprenaient pas c’était quoi à la base la SAAQ», selon l'informaticien. Il a pris l'initiative de leur expliquer les activités et le fonctionnement de la société d'État afin de s'assurer du bon développement de la plateforme.
«Pour moi, c'était inconcevable qu’on demande à des gens de développer quand ils ne connaissent pas la business», a dit M. Langlois.
Des ressources de l'extérieur du Québec avaient également été déployées dans les bureaux de la SAAQ en raison de la main-d'œuvre limitée pour un projet informatique de cette ampleur.
«Sinon, on allait cannibaliser tous les clients de SAP à Montréal et partout au Québec. Il n'y a pas assez de monde pour faire ce qu'on avait à faire», a mentionné M. Langlois.
Selon lui, les besoins ont été mal estimés pour la plateforme SAAQclic. Beaucoup de fonctionnalités sur mesure étaient à développer. «Les gens de l'Alliance (le consortium) n'ont pas pensé qu'il y allait avoir autant de développement», a affirmé M. Langlois.
D'après une responsable de produits sur SAAQclic, Marie-Claude Lemire, il «était assez évident dès le départ que, disons, on avait été gourmand» dans la conception.
La SAAQ compte des «centaines de milliers» de règles d'affaires, a témoigné devant la commission celle qui a d'abord été une consultante externe dédiée au projet CASA. «C'était immense comme projet», a-t-elle dit.
Mme Lemire estime que des problèmes auraient apparu même si la livraison de SAAQclic avait été reportée d'un an.
«Je crois qu'on a tout fait ce qu'on pouvait. On aurait pu tester encore cinq ans et on n'aurait pas testé assez, a-t-elle soutenu. C'était inévitable qu'à la grosseur du projet qu'on livrait, qu'il y allait avoir des bévues. On s'attendait à quelque chose de beaucoup moins intense.»
Mme Lemire a néanmoins défendu le virage numérique de la SAAQ, soutenant que le portail SAAQclic ne représente qu'une partie de toute la modernisation technologique de l'organisation.
«Un fiasco, ça signifie un échec complet. Je ne pense pas que SAAQclic soit un échec complet. Ce n'est pas SAAQclic qui a coûté aussi cher, c'est l'ensemble de la transformation de la SAAQ», a-t-elle dit.

