Inquiétudes, angoisse, colère: des médecins songent à quitter le Québec ou à devancer leur retraite en raison du projet de loi du ministre de la Santé, Christian Dubé, qui vise à lier une partie de leur rémunération à des indicateurs de performance. La pièce législative sera adoptée sous bâillon à l’Assemblée nationale dans les prochaines heures.
La Dre Julie Boulanger est ébranlée et dit songer sérieusement à continuer sa pratique ailleurs qu’au Québec.
«Ça me brise le cœur. J'ai des gens que je suis depuis 26 ans. Imaginez! Je fais juste y penser et ça me donne le vertige. C'est des gens que je connais comme le fond de ma poche», a-t-elle affirmé, visiblement émotive.
«On est tous en période de réflexion parce que c’est une loi qui dépasse l'imagination. Je ne pensais pas vivre ça dans ma carrière», ajoute la médecin de 52 ans.
Pour le moment, le Dr Mathieu Larrivée n’envisage pas de travailler ailleurs ou de se réorienter, car il ne veut pas «lâcher» ses patients.
Le médecin qui travaille à Drummondville n’écarte toutefois pas cette possibilité éventuellement afin de «protéger» sa santé mentale si on continue à l’«insulter» et à le «traîner dans la bouette».
«Le premier réflexe que les gens ont, c'est d'être en maudit et de tout vouloir sacrer ça là et d'être fâché. Mais sur le fond, il y a surtout de la tristesse, de la peur, de l'inquiétude, autant pour nous, pour notre profession que pour nos patients», a ajouté celui qui pratique depuis 15 ans.
Le médecin de famille Alain Naud, 65 ans, dit avoir amorcé sa transition vers la retraite en raison du contexte actuel.
«Je n'en peux plus de cette attitude méprisante des politiciens et du gouvernement actuel envers les médecins de famille, qu'on rend responsables de tous les maux du système de santé», lance-t-il.
Alain Naud ajoute qu’autrement, il aurait été prêt à continuer sa pratique. «On a grand besoin de médecins de famille pour pouvoir en offrir à tous les Québécois, mais il n’y en a pas. Et ce n’est pas une loi spéciale qui va les faire apparaître», indique celui qui est aussi enseignant.
«Le Nouveau-Brunswick nous courtise»
Et l'Association des médecins omnipraticiens de Québec assure que ces cas ne sont pas marginaux. Son président, le Dr Pascal Renaud, a indiqué vendredi qu’un sondage avait été effectué auprès de ses membres au printemps dernier.
«On a eu un taux record de réponse. Les médecins les plus jeunes nous disaient: “Ce qu’on envisage, c'est quitter la province, quitter les premières lignes, quitter le système public”. Les médecins les plus âgés nous disaient, “Moi, je vais devancer ma retraite”», a-t-il expliqué en point de presse à Québec.
Pascal Renaud a aussi indiqué que d’autres provinces canadiennes sont déjà à pied d'œuvre pour recruter des médecins québécois.
«Il y a le Nouveau-Brunswick qui nous courtise, qui nous dit: “Les médecins du Québec, vous cherchez une pratique plus intéressante, le Nouveau-Brunswick existe”. Ottawa qui nous a dit: “On cherche 200 médecins de famille pour venir dans notre ville”. Il y a un risque concret», a-t-il soutenu.
«Gouvernement soviétique»
Les deux fédérations de médecins ont continué à fustiger le projet de loi du ministre Dubé vendredi.
«Le gouvernement dit à la population qu'il veut améliorer l'accessibilité. Au contraire, le projet de loi va avoir des effets dévastateurs pour l'accessibilité à la population et des effets démotivateurs pour les médecins», a lancé le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Marc-André Amyot.
La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a fait savoir qu'elle allait prendre «tous les mécanismes légaux à sa disposition pour contester» la loi.
En point de presse, le président de la FMSQ, le Dr Vincent Oliva, n'a pas mâché ses mots, affirmant que la Coalition avenir Québec était un «gouvernement soviétique».
«Il a enfermé les jeunes médecins au Québec pendant 15 ans. […] Ce n'est pas juste qu'il les empêche d’aller au privé, il les oblige à travailler en sol québécois. Ils ont une obligation territoriale. La seule autre juridiction qui a ça en Amérique, c’est à Cuba», a soutenu le Dr Oliva.
Pour lui, la loi sur la rémunération des médecins «n'a rien de bon» pour améliorer l’accès, il s'agit d'un «prétexte pour contrôler les médecins».

