Plusieurs médecins se sont déplacés jusqu'à Québec, mardi, pour confronter le ministre de la Santé, Christian Dubé, sur son projet de loi 106 visant à lier jusqu'à 25 % de leur rémunération à des indicateurs de performance.
«Je suis inquiète pour mes patients, a déclaré la Dre Pascale Breault. S'il faut que je double le nombre de patients que je vois demain matin, (...) ça conduit à une médecine de mauvaise qualité. (...) On s'en va vers une médecine "fast-food".»
Alors que s'amorçaient les consultations sur le projet de loi 106, le ministre Dubé a réitéré son objectif que 100 % des Québécois soient pris en charge par un milieu de soin d'ici l'été 2026.
Or, «ça prend un engagement mutuel», a répondu le Dr Benoit Heppell, qui accompagnait mardi la Dre Breault, la Dre Isabelle Gaston et le président de la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), le Dr Marc-André Amyot.
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«Je peux faire différent, comme le ministre le nomme, mais il va falloir un engagement que la première ligne, on veut y mettre des ressources», a souligné Dr Heppell.
Le médecin de famille a calculé qu'il pourrait offrir 650 rendez-vous de plus par année à des patients orphelins si seulement il avait accès à plus d'infirmières, de travailleuses sociales, de psychologues, etc.
«Malheureusement, en première ligne et dans les groupes de médecine de famille, l'accès à ces professionnels-là est insuffisant», a-t-il déploré. Le Dr Heppell a également tenu à informer M. Dubé qu'il passait un mois par année à «remplir de la paperasse».
De son côté, la Dre Gaston a fait valoir que les médecins ne pouvaient pas tous travailler à plein régime. «On insinue qu'on est paresseux. (...) Vous savez, des fois, on ne choisit pas ses épreuves, a-t-elle dit. Moi, je vois des humains qui font leur possible.»
«Il nous manque deux infirmières, une ergo. (...) Notre CLSC ferme ses portes le week-end. (…) Elle est où la responsabilité, puis l'imputabilité du gouvernement dans l'accès à la première ligne?» a lancé la Dre Breault au ministre de la Santé.
«Que vous brassiez vos médecins, c’est déjà ordinaire, mais moi je ne commencerai pas à brasser mes patients pour contenter votre bilan», a-t-elle renchéri.
La FMOQ, tout comme la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ), soutient que le projet de loi 106 sape le moral des médecins, ce qui risque de provoquer leur exode. D'ailleurs, 22 % des omnipraticiens ont plus de 60 ans, a-t-on souligné.
Le président de la FMSQ, le Dr Vincent Oliva, a lui aussi ramené le gouvernement à ses responsabilités.
«On parle de performance: pourquoi les blocs opératoires ne roulent-ils pas à pleine capacité? Pourquoi y aura-t-il une seule salle d'opération ouverte cet été pour tout l'Outaouais?», a-t-il demandé au ministre.
À ses côtés, l'hémato-oncologue Gabrielle Gagnon a dénoncé les conditions de travail dans certains hôpitaux, où les patients doivent se servir d'une clochette en attendant la réparation du système de témoins lumineux.
Le projet de loi 106 a été déposé le 8 mai dernier en pleine négociation pour renouveler l’accord-cadre avec les deux fédérations médicales. M. Dubé n'a pas exclu d'adopter la pièce législative sous bâillon.
«Le gouvernement (...) a complètement détourné le débat dans les deux dernières semaines de la session parlementaire», a dénoncé pour sa part le député libéral André Fortin.
«On n'est pas en train de parler du bilan du gouvernement, (…) des hôpitaux qui ne se construisent pas. On est en train de parler d'une guerre ouverte entre le gouvernement et les médecins», a-t-il ajouté.
Legault et le Collège des médecins se coltaillent
Le Collège des médecins lance toutefois cet avertissement: lier la rémunération des médecins à l'atteinte d'indicateurs de performance serait tout simplement «dangereux» pour le patient.
Cette recherche de «volumétrie» se ferait au détriment du temps passé avec les patients, ce qui nuirait à la qualité des soins, en particulier pour les populations vulnérables, souligne l'ordre professionnel dans son mémoire.
Le président du Collège, le Dr Mauril Gaudreault, a déclaré en commission parlementaire qu'il craignait notamment que des médecins «ratent des diagnostics».
Il recommande de ne pas lier la rémunération à la performance, d'étendre la responsabilité collective aux gestionnaires et aux autres professionnels de la santé, et de cesser «immédiatement le dénigrement de la profession médicale».
Le premier ministre François Legault a dit, mardi, trouver la position du Collège `surprenante'.
«Il y a d'autres provinces qui ont changé le mode de rémunération pour mettre une partie en fonction de la prise en charge. Pourquoi les autres provinces seraient capables, puis nous, on ne serait pas capable?» a-t-il réagi en mêlée de presse.
«Ce qui est clair, c'est que si on ne change pas la recette, bien les résultats ne vont pas changer. Si on veut un réseau de la santé efficace, ça prend un nouveau mode de rémunération», a-t-il ajouté.
«Le Collège des médecins, ce n'est quand même pas de la petite bière, a fait valoir le député solidaire Vincent Marissal. Il est là pour protéger le public. Volume, volume, volume, (...) les patients, ce ne sont pas de la saucisse Hygrade, (...) ce sont des humains.»
La CAQ détourne le débat, dit le PLQ
Le projet de loi 106 ne sert qu'à `détourner' le débat, alors que le gouvernement Legault était jusqu'à tout récemment empêtré dans la crise à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, selon le député libéral André Fortin.
«Le gouvernement (...) a complètement détourné le débat dans les deux dernières semaines. (...) On n'est pas en train de parler des hôpitaux qui ne se construisent pas; on est en train de parler d'une guerre ouverte entre le gouvernement et les médecins», a-t-il dénoncé.
Le projet de loi 106 introduit plusieurs grands principes, à commencer par la responsabilité collective des médecins de prendre en charge plus de patients. Il propose que les médecins en première ligne soient payés par capitation, à l'acte et selon un tarif horaire.
La capitation est un montant versé en fonction de la population prise en charge. Elle serait modulée selon des critères de vulnérabilité (code de couleurs) utilisés par l'INESSS.
Si le projet de loi est adopté, tous les patients orphelins seront affiliés à un milieu de soins, composé de médecins, d'infirmières, de pharmaciens, etc. Lors de la prise d'un rendez-vous, ils seront dirigés vers le professionnel le plus pertinent.
Environ 1,5 million de Québécois n'ont pas de médecin ni de professionnel de la santé attitré, ce qui correspond à 17 % de la population, selon le gouvernement. De ce nombre, 590 000 sont considérés comme `vulnérables'.

