Le premier ministre Mark Carney et la première ministre de l'Alberta Danielle Smith ont signé jeudi un protocole d'accord qui les engage à œuvrer à la construction d'un oléoduc vers la côte Pacifique — en plus d'ouvrir la voie à des changements concernant l'interdiction des navires pétroliers sur la côte.
«Pour fournir de la clarté réglementaire, le gouvernement fédéral va retirer le plafond d'émissions. Le Canada va aussi entreprendre des démarches pour permettre l'exportation de bitume en Asie, ce qui inclut d'ajuster l'interdiction de navigation de pétroliers, si nécessaire», a déclaré M. Carney au cours d'une allocution devant la Chambre de commerce de Calgary.
Cette portion de son discours s'est attirée de chaleureux applaudissements. Le premier ministre a vanté les sables bitumineux de l'Alberta et a promis d'accompagner toute approbation de projet de pipeline de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
À ce chapitre, le premier ministre a été élogieux envers le projet Pathways Plus (ou Nouvelles voies), qui doit permettre la capture de carbone et que le protocole d'entente annoncé jeudi vise à faire avancer.
«Le pipeline va transporter au moins un million de barils de bitume de l'Alberta à faible émission par jour (...) Cette capacité accrue s'ajouterait à une nouvelle expansion de Trans Mountain avec une addition de 300 000 à 400 000 barils par jour», a-t-il dit au sujet de l'oléoduc agrandi dont Ottawa est le propriétaire.
L'engagement d'Ottawa dans un nouveau projet de pipeline est conditionnel à ce que celui-ci se taille une place en tant que projet désigné comme étant d'intérêt national par Ottawa. Le projet devra aussi venir avec une garantie d'offrir «des possibilités de copropriété aux Autochtones et des avantages économiques partagés».
«C'est vraiment un grand jour pour les Albertains, a claironné Mme Smith avant la cérémonie de signature du protocole d'entente. Nous travaillons depuis un certain temps à la suppression des neuf mauvaises lois, comme j'aime les appeler, qui ont eu un impact sur notre climat d'investissement ici. Je suis heureuse que nous soyons parvenus à un accord pour supprimer et réviser ces lois en grande partie.»
Le premier ministre britanno-colombien, David Eby, croit plutôt que le protocole d'entente risque de devenir un «vampire d'énergie» qui va assécher les ressources fédérales, autochtones et provinciales.
M. Eby a soutenu que son homologue de la Saskatchewan, Scott Moe, a parlé à Mme Smith du pipeline ce mois-ci alors qu'il aurait plutôt dû discuter des problèmes de la compagnie de potasse Nutrien afin d'acheminer ses produits vers des marchés. Il a ajouté que, en conséquence, Nutrien a décidé d'exporter vers les marchés mondiaux en passant par l'État de Washington, outrepassant la Colombie-Britannique.
Parmi les «mauvaises lois» citées par Mme Smith figurent la réglementation sur l'électricité propre et le plafond fédéral des émissions, dont l'Alberta sera exemptée en vertu du protocole d'accord conclu avec Ottawa.
Des responsables gouvernementaux ont indiqué qu'aucun tracé précis pour le pipeline n'avait encore été défini. Le protocole d'accord stipule qu'une demande pour un projet de pipeline sera soumise au Bureau des grands projets avant le 1er juillet, suivant l'engagement pris précédemment par Mme Smith de le préparer au printemps.
Bien que personne du secteur privé ne se soit encore proposé pour le construire, la première ministre albertine a affirmé que le protocole d'accord contribuait à créer les conditions réglementaires nécessaires pour attirer les investissements.
«Je suis convaincue que les personnes présentes à la table des négociations, ou un consortium d'entre elles seront disposés à mener ce projet à bien une fois que nous aurons établi qu'il figure sur la liste des grands projets», a dit Mme Smith.
Le protocole d'accord ouvre également la voie à la construction d'autres pipelines, précisant qu'un «ou plusieurs» seraient construits.
Cette annonce intervient après qu'un groupe de Premières Nations de Colombie-Britannique a déclaré qu'il ne laisserait jamais construire un nouvel oléoduc vers la côte Pacifique. Le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, a aussi fait valoir que la levée de l'interdiction des pétroliers menacerait les projets de développement déjà en cours et le consensus entre les Premières Nations côtières.
Le protocole d'accord stipule qu'Ottawa et l'Alberta collaboreront avec la Colombie-Britannique dans le projet de pipeline et travailleront avec la province pour promouvoir ses propres intérêts économiques à travers des projets majeurs.
Aux yeux du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, il est clair que M. Carney veut «forcer» la Colombie-Britannique à se résigner au passage d'un nouveau pipeline sur son territoire. Il a promis, dans le foyer de la Chambre des communes, de mener une «lutte sans merci» et de se montrer solidaire au gouvernement britanno-colombien.
«Il y a dans cette manœuvre un déni et un mépris des institutions démocratiques canadiennes (…) dans la perspective claire de déployer un plan d’affaires pétrolier à tout vent», a-t-il déploré.
Le groupe environnemental Greenpeace a déploré que jeudi était «un jour sombre pour le Canada et tous ceux et celles qui entretiennent l’espoir de maintenir une planète habitable».
«Non seulement Carney et Smith tentent d'imposer un nouveau gigantesque projet de pipeline de sables bitumineux (...) mais le gouvernement fédéral élimine également le plafond des émissions sur le pétrole et le gaz ainsi que la réglementation sur l'électricité propre, il retarde de 5 ans la réglementation sur le méthane et autorise l'utilisation du captage de carbone pour extraire davantage de pétrole, ce qui annule tout potentiel bénéfice», a déploré Louis Couillard, responsable de la campagne Climat-Énergie de l'organisation.
Le président de l'Institut climatique, Rick Smith, estime que le protocole d'entente avec l'Alberta nuit à la confiance des investisseurs puisque «les règles deviennent négociables»
«Les exemptions accordées à l’Alberta encouragent d’autres provinces et territoires à demander des traitements similaires et pourraient accentuer la fragmentation des politiques climatiques au Canada (...) Ces normes sont essentielles pour maintenir la cohésion économique et éviter un patchwork dysfonctionnel de politiques provinciales qui envoient des signaux contradictoires au marché», a-t-il soutenu.
Contreparties environnementales
L'accord ajoute qu'Ottawa et l'Alberta travailleront avec les entreprises partenaires de Nouvelles voies — Canadian Natural Resources, Cenovus, ConocoPhillips Canada, Imperial et Suncor — afin d'identifier d'ici le 1er avril de nouveaux projets de réduction des émissions qui seront mis en œuvre à partir de 2027.
Le protocole d'accord stipule qu'Ottawa et l'Alberta signeront un accord d'ici le 1er avril pour imposer une réduction de 75% des émissions de méthane par rapport aux niveaux de 2014 d'ici 2035.
Il s'agit d'un léger changement par rapport au dernier projet de règlement d'Ottawa, publié il y a deux ans, qui prévoyait d'ici 2030 une réduction de 75% par rapport aux niveaux de 2012. Le dernier budget fédéral comprenait un engagement pour renforcer la réglementation sur le méthane.
Ottawa s'est également engagé à suspendre la réglementation sur l'électricité propre, mais uniquement en Alberta.
La réglementation, qui doit entrer en vigueur en 2035, fixe des limites aux émissions provenant de la production d'électricité à partir de combustibles fossiles. L'Alberta la critique depuis longtemps, son réseau électrique étant principalement alimenté par du gaz naturel.
L'engagement de suspendre cette réglementation en Alberta dépend de la conclusion d'un nouvel accord sur la tarification du carbone entre les gouvernements fédéral et provincial d'ici le 1er avril. L'Alberta a accepté d'augmenter le prix du carbone industriel à 130 $ la tonne d'ici le 1er avril, ce qui le place au-dessus du seuil fédéral.
— Avec des informations de Bill Graveland à Calgary et d'Émilie Bergeron à Ottawa

