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Les gangs perturbent une journée sacrée célébrée par des milliers d'Haïtiens

De puissants gangs ont attaqué en mars la ville de Saut-d'Eau, dont la cascade de 30 mètres de long attirait depuis des décennies des milliers de fidèles.

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70f2bab8b67c31fee07da9822749cca80e3576652a4f3ab7721d5fa5c466f6e6.jpg Des pèlerins prient lors d'une messe célébrant la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel à l'église éponyme dans le quartier de Pétion-Ville à Port-au-Prince, Haïti, le mercredi 16 juillet 2025. (Photo AP/Odelyn Joseph)

La foule immense qui se rassemblait une fois par an autour d'une cascade vénérée du centre d'Haïti, où les fidèles barbotaient dans ses eaux sacrées et se frottaient le corps avec des feuilles aromatiques, n'était pas là mercredi.

De puissants gangs ont attaqué en mars la ville de Saut-d'Eau, dont la cascade de 30 mètres de long attirait depuis des décennies des milliers de fidèles vaudous et chrétiens.

La ville reste sous le contrôle des gangs, empêchant des milliers de personnes de participer au traditionnel pèlerinage annuel en l'honneur de la Vierge Marie du Mont-Carmel, étroitement associée à la déesse vaudou Erzulie pour les communautés locales.

«Ne pas aller à Saut-d'Eau est terrible, a soutenu Ti-Marck Ladouce. Cette eau est si fraîche qu'elle vous lave de tout le mal qui vous entoure.»

Au lieu de cela, M. Ladouce a rejoint plusieurs milliers de personnes qui ont gravi une colline escarpée dans une zone rurale de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, mercredi, pour honorer Erzulie et la Vierge Marie du Mont-Carmel dans une petite église qui servait de substitut à la chute d'eau. 

Comme beaucoup, il a remercié la Vierge Marie de l'avoir maintenu en vie, lui et sa famille, face à la flambée de violence des gangs qui a fait au moins 4864 morts d'octobre à fin juin en Haïti. Des centaines d’autres personnes ont été kidnappées, agressées sexuellement et soumises au trafic d’êtres humains.

«Les gens prient pour être sauvés», a-t-il ajouté.

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Une église pleine à craquer

Daniel Jean-Marcel ouvrit les bras, ferma les yeux et se tourna vers le ciel tandis que les gens autour de lui allumaient des bougies, serraient des chapelets et tentaient de se frayer un chemin dans la petite église qui ne pouvait contenir la foule rassemblée autour.

Jean-Marcel a déclaré qu'il rendait grâce «de pouvoir continuer à vivre à Port-au-Prince», où la violence des gangs a forcé le déplacement de 1,3 million de personnes ces dernières années.

«Nous n'avons nulle part où aller», a-t-il déclaré, ajoutant que lui et sa famille resteraient en Haïti. Beaucoup continuent de fuir ce pays ravagé malgré la répression de l'immigration menée par l'administration du président américain Donald Trump.

Mercredi, les autorités américaines ont expulsé plus de 100 Haïtiens vers leur pays d'origine à bord du dernier vol de ce type.

Jacques Plédé, 87 ans, faisait partie de ceux, tout de blanc vêtus, qui se sont rassemblés pour rendre grâce à Port-au-Prince, ville désormais contrôlée à 85 % par des gangs.

Il se souvient avoir participé à la construction de la petite église, mais n'aurait jamais imaginé qu'elle remplacerait la cascade de Saut-d'Eau.

«C'est une honte pour le pays que les gangs s'emparent de l'une des plus belles cascades où les gens viennent prier en privé, a-t-il fait savoir. La vie n'est pas finie. Un jour, si je suis encore en vie, je reviendrai à Saut-d'Eau.»

Des chefs de gang à l'église

Le matin du 31 mars, le gang Canaan, dirigé par un homme connu sous le nom de «Jeff», a attaqué Saut-d'Eau. La police et un groupe d'autodéfense ont repoussé l'attaque, mais le gang est revenu début avril avec plus de 500 hommes, poussant les habitants et les autorités à fuir, selon un nouveau rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.

En colère contre la violence persistante et ce que les Nations Unies ont qualifié de «faiblesse de la part des autorités», les habitants de Saut-d'Eau et d'autres communautés voisines ont pris le contrôle d'une centrale hydroélectrique en mai et juin en guise de protestation, provoquant des pannes de courant généralisées dans la capitale haïtienne et son centre.

Mercredi, des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montraient Jeff Larose, chef du gang Canaan, debout dans la grande église de Saut-d'Eau qui accueillait traditionnellement la messe annuelle au cours du pèlerinage de trois jours. L'église a été construite sur ordre présidentiel après que des rumeurs ont commencé à circuler au milieu du XIXe siècle selon lesquelles un agriculteur local y aurait vu la Vierge Marie dans un palmier.

À côté de Larose se tenaient Joseph Wilson, surnommé «Lanmo Sanjou», chef du gang des 400 Mawozo, et Jimmy Chérizier, plus connu sous le nom de «Barbecue» et l'un des chefs d'une puissante fédération de gangs connue sous le nom de «Viv Ansanm» ou «Vivre ensemble».

La vidéo les montrait en train de distribuer de l'argent à des habitants rassemblés, les bras tendus.

«Ils nous empêchaient de venir au Mont Carmel, a déclaré Barbecue. Nous sommes au pied de notre mère maintenant.»

À un moment donné, Lanmo Sanjou a regardé la caméra et a déclaré que la Vierge Marie du Mont-Carmel leur donnerait l'occasion d'accomplir d'autres miracles.

«Tout le monde a besoin de protection»

Mercredi, les rires et le ruissellement de l'eau étaient absents de l'église de la capitale chaotique d'Haïti où se déroulait le pèlerinage de substitution. Hugens Jean, 40 ans, se souvient des années précédentes où lui et sa famille se rendaient à Saut-d’Eau, où ils se lavaient dans l’eau et préparaient leurs repas dans les bois voisins.

«Aujourd’hui est un jour très spécial, a-t-il souligné. Je viens ici prier pour la délivrance de ma famille et du pays aux mains des gangs. Un jour, nous devons être libérés de ces attaques systématiques. Nous ne savons pas qui vivra aujourd’hui ni qui mourra demain.»

Joane Durosier, une prêtresse vaudou de 60 ans connue sous le nom de «mambo», a partagé une complainte similaire.

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Vêtue de blanc, un chapelet à la main, Mme Durosier a expliqué qu’elle priait pour elle-même et ses fidèles.

«Beaucoup de gens souffrent, a-t-elle déclaré. Dans un pays comme Haïti, tout le monde a besoin de protection.»