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L’empreinte matérielle des habitants serait deux fois plus élevée que ce que la planète peut supporter, selon une étude publiée par l’Institut de recherche et d'informations socioéconomiques
Il faut complètement revoir la façon dont nous produisons nos biens et services, car même si les Québécois réduisaient de façon importante leur consommation, l’empreinte matérielle des habitants serait deux fois plus élevée que ce que la planète peut supporter, selon une étude publiée par l’Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).
Non seulement le document indique que la façon dont les Québécois se nourrissent, se déplacent, se logent, se vêtissent et se divertissent n’est pas durable sur le plan écologique, mais même si les citoyens se limitaient à leurs besoins de base, «leur empreinte matérielle dépasserait du double les seuils écologiques viables», selon l’étude de l’IRIS.
Le rapport de l’IRIS s’intitule «L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec».
L’empreinte matérielle par habitant fait référence à l’estimation de la somme des ressources impliquées dans la production et la consommation d’un bien ou d’un service.
«En reproduisant une méthodologie développée par des chercheurs européens, nous avons estimé qu’il fallait entre 16 et 19 tonnes de ressources naturelles par année pour couvrir ses besoins de base au Québec», alors que «le seuil maximal suggéré dans la littérature scientifique est plutôt de 8 tonnes par habitant», souligne l’étude.
Les chercheurs ont fait le choix d’estimer l’empreinte par habitant en quantifiant uniquement les besoins de base, mais l’étude souligne que si les auteurs avaient inclus «l’empreinte matérielle des déciles supérieurs de revenu», donc des plus riches, les conclusions brosseraient «un portrait écologique encore plus sombre, puisqu’il est établi que le niveau de revenu est corrélé à l’empreinte écologique».
«Ça peut être décourageant pour les citoyens qui sont pleins de bonne volonté et les ménages qui veulent réduire leur empreinte écologique, mais avec cette étude, au contraire, on vient resituer la responsabilité de la question écologique sur les épaules de ceux qui tiennent les leviers réglementaires», a indiqué Colin Pratte, chercheur à l’IRIS, en entrevue avec La Presse Canadienne, en faisant référence aux décideurs politiques.
La transition écologique requiert une transformation importante des systèmes de production, selon l’étude de l’IRIS.
Même si leur recherche ne porte pas sur les moyens de diminuer l’impact des crises écologiques, les chercheurs proposent certaines pistes de solutions.
Par exemple, en matière d’alimentation, qui représenterait environ le quart de l’empreinte matérielle des Québécois, ils soutiennent qu’il faut réglementer l'industrie de la viande pour diminuer l'offre de produits animaliers, opter pour des circuits courts et adopter les méthodes de l’agriculture régénératrice. Toutes ces recommandations figurent également dans un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en 2019.
«Ce qui est aberrant, c’est qu’en matière de crises écologiques, les solutions sont connues des décideurs», alors «quels sont les freins politiques et économiques à leur mise en place?» s’est interrogé Colin Pratte en entrevue avec La Presse canadienne.
Au niveau du transport, qui représente au moins le tiers de l’empreinte matérielle par habitant, en raison surtout de la quantité considérable d’énergies fossiles et de minéraux que ce secteur requiert, les chercheurs recommandent d’augmenter l’offre de transport en commun abordable, de mieux planifier les milieux de manière à réduire les distances à parcourir, de réglementer la taille des véhicules et de concevoir une «planification écologique de leur production».
Parmi les autres solutions, l’étude de l’IRIS énumère notamment des politiques qui favorisent l’augmentation de la longévité des biens et leur réparation ainsi que l’adoption d’une écofiscalité qui récompense «le zéro déchet» et pénalise «la génération de déchets».
Les auteurs de l’étude soulignent que l’empreinte carbone, qui mesure les émissions de gaz à effet de serre (GES), est insuffisante pour saisir l’ampleur des crises environnementales qui menacent les humains et les autres espèces.
«Il faut élargir la compréhension de la crise écologique au-delà de la question du réchauffement climatique et prendre en compte les autres dimensions de la crise écologique globale comme la perte de biodiversité, la destruction des habitats, la perturbation des sols et des cycles hydriques. C’est ce que nous permet de faire le calcul de l’empreinte matérielle, contrairement à l’empreinte carbone», a expliqué Krystof Beaucaire, chercheur à l’IRIS.
Afin de bien saisir les conséquences de nos systèmes de production sur l’environnement et de mieux planifier une transition écologique, les chercheurs de l’IRIS recommandent aux dirigeants politiques de développer de meilleurs «outils statistiques» et ne pas se référer uniquement aux émissions de GES.
«L’extraction de ressources naturelles est un angle mort des approches de transition», a indiqué Colin Pratte.
Le chercheur a expliqué que «l’empreinte matérielle d’une voiture électrique est environ trois fois plus grande que celle d’un véhicule à combustion», en raison de l’extraction minière requise pour obtenir les métaux pour sa production, donc «l’électrification d’un parc automobile peut diminuer l’empreinte carbone d’une société, mais augmenter son empreinte matérielle».
La Division de la statistique de l'ONU (UNDS) estime que l’empreinte matérielle mondiale est passée de 43 milliards de tonnes métriques en 1990 à 54 milliards en 2000 et 92 milliards en 2017 et «qu’en l’absence d’une action politique concertée, ce taux devrait croître à 190 milliards de tonnes métriques d’ici à 2060».